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Depuis
plusieurs jours, je m'interroge sur le bien fondé de chacune de nos
actions. Je ne dis pas que c'est arrivé du jour au lendemain, je
crois que c'était en moi depuis des mois, des années, mais c'est
comme un mal latent qui a tout à coup explosé en plein jour, et
j'ai l'impression de ne plus savoir comment faire pour le guérir.
Mais ce n'est pas un mal, plutôt une vérité qui s'offre à moi,
une vérité que je ne parviens plus à cacher. Sur le Monde qui
m'entoure, sur ma place dans ce Monde, sur ce que je fais, moi, toi,
nous autres, sur ce qui est écrit, ce que nous pouvons changer,
notre quête, nos mensonges, ce qui régit chacun de nos actes.
Je
sais, c'est confus, et déjà, je sais que je t'effraie, tu vas me
prendre pour une folle. Je ne nie pas, je le suis un peu, beaucoup,
mais est-ce de la folie que de s'interroger sur ce qui nous meut, ce
qui nous émeut, ou juste ce que nous sommes ? Papa m'a souvent
regardé avec un sourire au coin de la bouche, en me disant qu'il ne
savait pas où je trouvais toutes mes idées, que je me compliquais
la vie avec toutes mes questions existentielles, et qu'à trop
penser, j'oubliais de vivre. Il conclue toujours en me disant que je
serais heureuse, parce que je suis très intelligente pour une fille
de mon âge, et trop intelligente pour être complètement heureuse,
parce que je remettrai constamment en cause le bien fondé de ce que
je fais. « Heureux les idiots... » dit le proverbe, même
si je ne m'estime pas plus intelligente qu'un autre, seulement
curieuse de tout, de l'Univers et de ses atomes, des particules, de
la nature et des Hommes qui errent en cherchant leur place dans cet
espace démesuré, intemporel, qu'est la vie.
Chaque
matin, lorsque je prends le bus, je m'assois devant, parce qu'à mon
âge, tous les autres préfèrent les places arrière, et que devant,
j'ai la certitude d'avoir un moment seule, au calme. J'appréhende la
descente et le retour à la terre ferme, franchir les grilles, me
retrouver au milieu de la foule. Je sais qu'on me regarde du coin de
l’œil, qu'on garde ses distances parce que je ne suis pas normale,
pas comme tout le monde, je ne m'habille comme il le faut pour être
à la mode, j’abhorre les magasins, le shopping, lorsque je parle,
j'emploie des mots peu courants, et qu'il faut se concentrer pour
m'écouter, m'entendre, me comprendre. Mes raisonnements, pour
beaucoup, n'ont ni queue ni tête, sans intérêt pour tant d'autres
dont les sujets de discussion tournent autour d'une boucle d'oreille,
des frasques amoureuses d'une célébrité dont j'ignore le nom, des
excentricités d'une chanteuse qui m'indiffère.
Chaque
jour, je me gorge de livres, des lectures interminables jusqu'au
milieu de la nuit. J'ai su lire très tôt, et très tôt, j'ai eu
des lectures peu appropriées pour mon âge. Je dévorais les
magazines scientifiques auxquels mes parents étaient abonnés, et je
pilonnais mes parents de questions dès le réveil. Autant te dire
que pour eux, il fallait être au garde à vous rapidement, avoir les
idées claires au lever. J'étais intarissable, et à chaque réponse
devait s'échanger une nouvelle question. Ils m'ont acheté toutes
les encyclopédies possibles, parce qu'ils n'ont jamais voulu me
mettre devant un écran d'ordinateur. Ça aurait été moins
encombrant, mais comme j'ai toujours aimé bouquiner dans ma chambre,
finalement, le format papier était le plus adapté. Ils sont un peu
ringard aussi, je te l'accorde, écrans réduits au minimum syndical,
pas de téléphone, mais je les remercie, j'aime bien mon côté
marginale, et je mesure désormais pleinement ce qui est
indispensable à ma vie et à mon bonheur, je n'ai besoin de rien,
pour moi, le vital réside en l'amour que je porte à ma famille et
qu'elle me porte en retour, et tout ce qui peut étancher ma soif de
connaissance.
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