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samedi 25 avril 2020

Confinement: page 31

[...]

Et on y revient. Henriette ne pouvait pas s’empêcher d’y penser, c’était plus fort qu’elle. Tout la ramenait à cette situation alambiquée, à l’espèce humaine qui, au fil des jours, phagocytait toutes les autres espèces qui se trouvaient sur son passage. Dénaturant l’ensemble. Au sommet de la hiérarchie. Elle se dit qu’à l’ère des dinosaures, la planète avait mis un bon cataclysme là-dedans pour repartir de zéro, et que peut-être qu’elle allait préparer un autre tour. La Nature, de toute façon, savait reprendre ses droits quand il le fallait, ce n’était qu’une question de temps. Peut-être même qu’elle regardait ce qui était en train de se passer d’un œil distant, attendant le moment propice. Demain, dans un mois, dans un an… La vie, c’était une histoire de Yin et de Yang, un équilibre du bien dans le mal, du mal dans le bien, et si l’équilibre cédait, l’avenir flanchait.
Elle était relativement pessimiste en la nature humaine, un pas en avant, deux en arrière. D’un autre côté, elle ne cessait d’y croire, il y avait eu de grands personnages, Gandhi, l’Abbé Pierre, Mère Térésa, Martin Luther King, Nelson Mandela… Toutes les sept secondes, la déforestation arrachait l’équivalent d’un stade de foot à la forêt amazonienne, mais les écolos n’avaient jamais eu autant le vent en poupe…
Il fallait y croire, sinon, quelle raison de vivre ? Et puis, il y avait la petite. Qui grandissait. Qui bientôt, quitterait le cocon familial. Qui deviendrait une grande et belle personne, elle le pressentait. On vivait pour encourager les générations futures.
L’horloge sonna les onze heures. Seulement. Elle tournait en rond. Ça agaçait le matou, il descendit de son plafond pour tourner autour d’elle, ronronner en se frottant à ses mollets pour la calmer. C’est bon, Henriette, il y a encore toute la journée, sembla-t-il lui dire.
Elle raviva le feu dans le poêle et accepta de partager un moment avec lui sur la chaise. Les chats étaient ainsi, il fallait être aux petits soins pour eux et répondre à leurs urgences. Manger, être câliné, ne pas être dérangé, dormir.
– Elle est belle, hein, ta vie de chat, lui fit-elle en laissant courir sa main sur ses poils épais.
L’autre ronronnait de plaisir.

Dans l’après-midi, elle s’activa pour prendre le bus. Il passait au centre village. Henriette n’avait plus de voiture. Lorsqu’elle devait se rendre en ville, elle prenait les transports en commun. Au choix : le bus ou le train. Elle avait la chance d'habiter près d’une ligne ferroviaire, la chance également que son arrêt au village ne soit pas fermé, comme cela arrivait parce que la SCNF estimait qu'un arrêt n'était plus essentiel. Par contre, il ne faisait pas halte systématiquement. Deux le matin, un l'après-midi.
Elle préférait néanmoins le bus. Moins de risque de retard. Et puis, le train, avec toutes ces grèves…
Elle marchait très bien. Chaque jour, elle allait s’aérer pendant une heure, parcourant au moins trois à quatre kilomètres. Elle se forçait à y aller, quel que soit le temps. C’était bon pour sa santé, son moral, son tonus. Parfois, Ludo l’accompagnait. Et quand il y avait la petite, toutes deux prolongeaient ce plaisir, elles allaient jusqu’à la lisière du bois, prenaient parfois un pique-nique et mangeaient en observant les alentours, l’ébauche des nuages, les pastels du ciel, les fresques du macrocosme, les frasques du microcosme. Le plaisir de s’ennuyer sans s’ennuyer. De faire travailler l’imaginaire, de se raconter des histories à haute voix, puis de les prolonger dans sa tête.
Le chat la regarda partir sans broncher, il était retourné sur son placard, ne lui fit pas un scandale en la voyant disparaître, ne lui ferait pas la fête en la voyant réapparaître, descendrait quand il en aurait envie pour avaler quelques croquettes, n'irait pas chasser les souris parce que décidément, les rongeurs allaient trop vite, ce serait fatigant. Viendrait chercher des caresses quand la maison serait de nouveau investie, mais en attendant, c'était sieste, et ça, il savait sacrément bien la faire.
Elle ne ferma pas la porte à clé. C'était une mauvaise habitude qu'elle avait, la petite lui ferait la réflexion, lui dirait encore une fois que ce n'est pas intelligent. Les mauvaises habitudes, comme les bonnes, sont difficiles à perdre, elle mettrait ça sur le compte de sa vieillesse, et la petite lui dirait que c'est son entêtement.



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