Le
bus s’éloigna, elle était sur le quai de la gare routière, il
lui restait plus de deux heures à tuer. L’autre inconvénient à
habiter en montagne, c'était le manque d’horaires des lignes de
bus. D’une, il ne fallait pas le rater, de deux, il fallait
patienter une fois sur place. Ça ne lui déplaisait pas, elle allait
dans ce cas à la médiathèque. La ville disposait d’un
établissement fantastique, elle irait flâner dans les rayons,
referait son stock de livres pour la semaine. Henriette lisait
énormément, surtout depuis la retraite. Il n'était pas rare
qu’elle ouvre trois livres en même temps, ça ne la dérangeait
pas que les histoires s'emmêlent, vu que dans sa tête, c’était
encore très clair.
Ludo
lui avait conseillé de prendre une liseuse. Il avait voulu la lui
acheter, elle avait refusé catégoriquement. Il n'était pas encore
né celui qui arriverait à la convaincre de lire sur ces tablettes
électroniques sans vie. Non, un livre, il fallait le toucher, le
palper. Il fallait l’avoir en main, le peser. L’ouvrir, le
retourner, l’aérer. L’éplucher avant de l’acheter, le
décortiquer minutieusement une fois chez soi. Le caresser, le humer,
l’attendrir, davantage chaque fois qu’on l’ouvrait. Un livre,
c'était un objet qui vivait, qui grandissait, qui avait besoin d’un
lecteur, comme le lecteur avait besoin de lui. Ce machin
électronique, il ne donnait rien. Probablement un peu de plaisir en
y offrant quelques mots, mais pas davantage. Rien ne remplacerait
jamais l’objet livre. La petite avait exactement le même avis
qu’elle là-dessus, raison de plus pour ne pas changer son point de
vue.
A
dix-huit heures, elle était en gare, sur la voie une. Elle tendit
l’oreille, essayant de percevoir les ronflements du train. Son cœur
s’accéléra, elle était impatiente de la voir descendre d’un
wagon. De la découvrir au milieu de la foule, la voir courir vers
elle avec son sourire magnifique, ses cheveux bruns se balançant
dans l’air.
Le
train arriva, s’arrêta. Elle avait essayé de deviner le wagon,
c'était un jeu qu’elles faisaient toujours. Si Henriette arrivait
à deviner d’où elle sortirait, la petite lui offrirait une glace.
Le cas contraire, c'était Henriette qui la lui offrait. Dans les
deux cas, elles étaient gagnantes, elles auraient droit à la glace.
Les
roues de fer crissèrent, le train se figea. Les portes s’ouvrirent,
les passagers descendirent sur le quai. Elle descendit du wagon de
derrière.
Fidèle
à son habitude, elle n’avait pas de lourds bagages, juste un sac à
dos rempli de l’essentiel.
–
Je te soupçonne de me voir et de changer de wagon au moment de
descendre, grommela Henriette.
–
Moi aussi, je suis heureuse de te voir, lui fit la jeune fille. Et
oui, j’ai fait bon voyage, non, je ne suis pas trop fatiguée par
ces nombreux kilomètres qu’il m’a fallu parcourir pour te
rejoindre. Et puis de toute façon, même lorsque tu gagnes, tu ne
veux pas que je t’offre la glace.
–
Ce n’est pas faux, mais au moins, j’ai la satisfaction d’avoir
gagné.
Henriette
la serra fort dans ses bras.
–
Tu as encore grandi, toi ! s’exclama-t-elle.
–
Mamie, je t’ai déjà dit que je ne grandissais plus depuis un an.
J’ai déjà ma taille adulte.
–
Alors c’est moi qui rapetisse. Qu’est-ce que je suis heureuse de
te voir.
–
Ah, me voilà rassurée. A un moment, j’en ai douté. Bon, tu me
l’offres, cette glace ?!
–
Tu ne perds pas le Nord, toi…
Lorsqu'elles
revinrent à la maison et que la petite vit sa mamie descendre la
poignée sans insérer de clé dans la serrure, elle soupira.
–
Tu as une bonne étoile, toi, tu sais ? Tu n'imagines pas le
nombre de cambriolages qu'il peut y avoir en ville.
–
J'habite en campagne, lui répondit la vieille dame.
–
Il y en a également en campagne. Et tu n'es pas réellement en
campagne. L'endroit où tu habites, ça s'appelle désormais un
village.
–
Ah bon ? fit-elle innocemment. Pourtant, quand je me suis
installée ici, il n'y avait que des prés tout autour. Ah,
l'évolution...
–
Ah, l'obstination, rajouta l'autre.
–
Figure-toi que j'y ai quand même pensé.
–
Ça, je n'en doute pas. J'imagine que c'était quand tu étais dans
le bus ?
–
Presque. En y descendant.
–
Tu es un cauchemar, Mamie.
–
Je sais, Maurice ne cessait de me le répéter. Qu'il n'avait jamais
rencontré une mule pareille.
–
Je ne lui donnerai pas tort.
–
En y repensant, je suppose qu'il y a un gêne d'équidé, dans la
famille.
–
Pourquoi dis-tu ça ?
– Parce que ma fille est un âne.
Elles
pouffèrent.
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