[...]
Mamy
me dit que je ne serai jamais heureuse, à réfléchir et à parler
comme ça. Elle me dit de débrancher mon cerveau, parce que je ne
suis jamais dans le moment présent. Elle me fait rire, elle me dit
d’aller faire du Yoga, ou l’un de ces arts venus d’Orient.
–
Tu sais, m’a-t-elle fait, on en voit plein dans les parcs faire
des gestes lents, c’est à la mode en ce moment dans les grandes
villes.
–
Tu as peut-être raison, lui ai-je dit, mais d’un autre côté,
c’est d’être trop dans le présent qui nous fait oublier demain,
et qui nous laisse dans notre bulle de déni.
–
Ah ! s’est-elle exclamée. Voilà que tu recommences, tu
vois, à chaque fois, tu repars dans tes idées de grands et on va
encore te traiter de folle. A ton âge, je ne me souciais pas de ce
qui allait se passer, je me souciais juste de sourire aux garçons,
de leur laisser un regard appuyé pour les faire rêver, mais pas
trop pour ne pas les laisser espérer. De la robe que j’allais
mettre pour les faire chavirer.
–
Mamy, toi tu as été comme ça ? J’ai toujours pensé qu’à
ton époque, il n’y avait que des dinosaures sur la terre !
–
Petite peste !
J’ai
entendu son rire dans le combiné, j’ai aimé ce rire chevrotant,
sincère, doux. J’aime son esprit vif, sa bonté. Elle a une
énergie incroyable. Je sais, tu vas me dire que je ne suis pas très
objective, mais il faut la voir, gambader comme si elle avait vingt
ans. Je l’appelle chaque lundi, c’est notre rituel, et je passe
plus de temps avec elle au téléphone qu’avec n’importe quelle
autre personne. Elle est mon amie la plus sincère, et elle ne me
juge pas lorsque je lui parle de mes pensées folles, seul lui
importe mon bonheur. Elle habite loin de chez nous, dans les
montagnes. Je vais passer deux semaines l’été, à deux, toutes
les deux, nous rions comme si nous avions le même âge, je l’aide
dans ses corvées, nous partageons les silences du soir en face d’un
coucher de soleil, nous regardons les fleurs s’ouvrir à l’aube.
Il
y a cinq ans, elle a eu une mauvaise grippe, avec des complications.
Heureusement, j’étais là, avec elle. C’était pendant les
vacances de la Toussaint, nous avons fini aux urgences. Depuis, elle
se fait vacciner tous les ans.
Je
l’ai appelée, hier. Nous avons évoqué ce nouveau Virus, venu de
Chine. Il est dans toutes le bouches en ce moment. Les entreprises
françaises sont fermées, elles rapatrient leurs salariés français,
et ce jusqu’à nouvel ordre. Je ne sais pas si ce sont des
directives du gouvernement chinois, ou alors si ce sont des mesures
préventives nu nôtre, je ne me suis pas encore plongée dans le
sujet. Tu le sais, j’ai toujours préféré le livre à
l’ordinateur, j’aime davantage tourner les pages que la molette
d’une souris, prendre le crayon plutôt que pianoter sur un
clavier. Nous sommes abonnés à de nombreux magazines, mais
j’attends de les avoir tous pour me faire ma propre opinion.
Néanmoins, je suis relativement surprise que l’on prenne ce genre
de directives, tant l’économie d’un pays est importante pour son
gouvernement, pour ses habitants, pour leurs voisins, pour les
investisseurs, pour tout le monde. Le foyer de ce virus est à Wuhan,
on ne sait pas comment il est apparu, et même si nous voulons
toujours un coupable, parce que c’est dans notre nature, parce que
désigner un coupable permet de disculper tous les autres, je ne suis
pas sûre que ce soit d’une importance capitale, de savoir quoi,
qui, comment.
Déjà,
j’entends les détracteurs pointer du doigts leurs congénères :
A vivre les uns sur les autres, dans des quartiers immenses,
adoptant facilement des chats, des chiens, des oiseaux, des serpents
et toutes autres espèces animales, puis les mangeant, sans se
soucier de rien.
*
Jules
attendait que sa maman vienne le chercher. Il restait jouer près de
la porte d'entrée, ainsi, la distance parcourue et le temps mis pour
lui sauter dans les bras seraient réduits au minimum. Tous les
enfants agissaient ainsi, ils avaient le regard rivé sur
l'interphone, à chaque sonnerie, ils s'agglutinaient devant l'écran,
espérant que le visage qui s'y affiche serait celui de sa mère, de
son père.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire