[...]
–
Viens, mon ange, maman va t'acheter une sucette, lui fit-elle. Tu es
courageux, tu es un grand garçon.
Ils
s'arrêtèrent à la boulangerie, en ressortirent avec le bonbon.
Elle lui demanda d'attendre le repas du soir, qu'il prendrait la
friandise en dessert, mais Jules se remit en colère. Il était
fatigué, c'était une évidence.
–
Ne te mets pas dans cet état, mon chéri. C'est bon, tu peux le
manger tout de suite, ça ne change pas grand-chose, de toute façon.
Bertrand
arriva en même temps qu'eux avec une pizza, achetée à la demande
de sa femme. Le pizzaïolo était sur la route de son boulot, dix
minutes d'attente, pas une de plus, garantie du chef cuisto. Une
seconde de plus, et je vous rembourse l'achat, avait-il dit un
jour en rigolant. Ils avaient désormais une carte de fidélité, les
arrêts étaient nombreux. Et puis Jules aimait tellement ce plat
italien. Ils avaient essayé de varier, de mettre des légumes, mais
tout petit, il refusait déjà d'en manger. Bertrand avait voulu
insister, mais Sandra lui avait fait comprendre que c'était inutile,
qu'il ne fallait pas s'opposer à un enfant. Que le petit devait
faire sa propre expérience de la nourriture, et qu'on ne devait
surtout pas le forcer, ça risquerait de le braquer. C'était une
histoire de couleurs, elle l'avait lu dans un magazine très sérieux.
Les légumes sont trop colorés, le jaune, le vert, le rouge, c'est
un réflexe de survie chez l'enfant, qui dit couleur dit :
danger. Quand il sera plus grand, il voudra probablement les goûter,
en voyant ses parents les manger normalement. Pour l'instant, c'est
encore trop tôt.
–
L'apprentissage du goût, avait fait Sandra. Il faut écouter les
signaux internes. On a eu tendance à les occulter. Trop de parents
insistent pour que leurs enfants mangent de tout, finissent leurs
assiettes, mangent à des horaires stricts, commencent par l'entrée,
puis le plat principal, et finissent par le dessert. Il faut revoir
nos fonctionnements, l'enfant sait ce qu'il doit faire, il ne se
laissera jamais mourir de faim. Il faut changer nos ancrages
alimentaires, hérités de nos parents, de nos grand-parents. Ne pas
apprécier un aliment ne veut pas dire qu'on est un bon garçon ou un
mauvais, c'est factuel. Il ne faut surtout pas l'angoisser avec la
nourriture, rester à son écoute, et lui expliquer qu'il a droit de
ne pas manger parce qu'il n'aime pas. Il est important de verbaliser
pour mettre l'enfant en confiance, comme lorsqu'il mange avec ses
mains, lui dire que c'est rigolo de toucher avec ses doigts, et qu'un
jour, il fera comme papa et maman, il utilisera sa fourchette et son
couteau. Il est essentiel de comprendre un enfant, de percevoir ses
besoins. Cela fait partie de l'éducation positive. Ne pas aller à
son encontre pour ne pas le brusquer, ne pas le braquer...
Bertrand
avait patiemment écouté sa femme, hochant la tête sans rien dire.
Elle lisait beaucoup de livres de psychologie, elle ne parlait pas
dans le vent, sans avoir les preuves de ses arguments. Un jour, il
lui avait tout de même dit que beaucoup d'experts se contredisaient,
et que l'être humain était un grand mystère, qu'il n'y avait pas
de vérité.
–
On ne va tout de même pas se fâcher pour ça ? Tu sais ce que
j'en pense... avait-elle rétorqué.
Depuis,
Jules ne mangeait plus de légume, leur préférant largement les
fruits. Et une pizza au retour du boulot, c'était une solution de
facilité, pas besoin de préparer le repas, il prenait une quatre
saisons, à la demande de sa femme. Jules avait la partie avec le
jambon, eux mangeaient celles avec les légumes et tout le monde
était content. Surtout Sandra, Jules en prime. Alors si Bertrand
pouvait éviter un drame familial, la pizza lui allait très bien.
Dès
qu'ils entrèrent dans l'appartement, Jules courut vers le salon. Il
saisit la télécommande et alluma l'écran. Il avait ce droit,
désormais. Ses parents le laissaient faire, il était grand, jamais
il n'avait fait tomber l'objet. Il chargea un disc dans le lecteur,
appuya sur lecture et alla s'asseoir sur le canapé. Il avait eu
droit à la compilation de Dora l'exploratrice pour Noël. Ses
parents étaient en cuisine pour installer la table.
–
Ça a été, ta journée ? demanda Sandra.
–
Fatigante. En ce moment, il y a beaucoup de tension, je ne sais plus
si je te l'ai dit, nous sommes encore deux prestataires en lice.
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