Ils
trouvent néanmoins la mesure radicale, surtout à cette époque. Ils
n’imaginaient pas qu’en 2020, un tel événement puisse se
produire. Le débat à table est animé, Aurore apprécie ces
discussions avec ses parents, c’est réciproque, Yoann et Sabrina
se disent qu’ils ont de la chance d’avoir une fille éveillée,
intéressante et intéressée. Jeanne et Louise sont déjà au lit,
en train de lire un livre. Yoann a dit qu’il viendrait éteindre
leur lumière. Ça leur permet de poursuivre leurs discussions sans
être interrompus de pourquoi réguliers. Ils espèrent que
cette mesure suffira à contenir l’épidémie. Qu’elle ne se
propagera pas trop rapidement au-delà des frontières, bien qu’elle
l’ait déjà fait. Il y a beaucoup d’énormes métropoles en
Chine, la population est en grande partie urbaine. Ils évoquent
l’épidémie de SRAS, en 2002, qui a été la plus virulente des
dernières décennies. Tuant dix pour cent des contaminés. Le
Coronavirus touche, d’après les médias, surtout les personnes de
plus de soixante ans, leur provoquant de graves problèmes
respiratoires. Une pneumonie virale.
–
Je ne comprends quand même pas ce confinement chinois, fait Aurore.
On nous le rabâche chaque matin, je sais que c’est en grande
partie parce que l’économie mondiale peut en pâtir, mais c’est
tout de même curieux. Les médias disent que ce n’est pas plus
grave qu’une grippe saisonnière, qu’il suffit de porter un
masque, de se laver les mains. Pourtant, ils en font écho chaque
matin désormais.
–
Porter un masque et se laver les mains dans l’absolu, mais c’est
impossible, fait Sabrina. Déjà avec les enfants, qui sont
difficiles à contenir, qui toussent, éternuent, mettent les doigts
à la bouche, laissent traîner leurs mains partout. Même pour les
adultes, il faudrait toujours avoir des gants, ne jamais les porter
au visage, changer de gants chaque fois qu’on touche un objet, ne
sachant pas si l’objet a été touché par une personne contaminée.
Yoann
rajoute que les médias aiment orienter les informations au
sensationnel. Seul l’audimat importe, il faut qu’il y ait le plus
de téléspectateurs possible, que les vidéos soient vues par le
plus grand nombre. La société connectée est friande de
spectaculaire. Parler des morts à cause du virus Ebola, ou des
génocides dans les pays reculés d’Afrique, c’est trop commun,
les gens s’en fichent. La majeure partie d'entre eux ne se sentent
pas ou plus concernés.
–
Nous avons tendance à être touchés émotionnellement par ce qui
nous touche physiquement. C’est humain. Moi le premier, je serais
bien plus affecté s’il vous arrivait un accident quelconque plutôt
qu’au voisin.
Les
échanges se poursuivent jusqu’à vingt-trois heures, moment où
Yoann décrète le couvre feu. Il est tard, demain, tout le monde
travaille, ils auront tout le loisir de poursuivre le sujet un autre
jour.
Tous
trois s’endorment sereinement, rarement un virus du type Corona n’a
traversé les frontières, et lorsque c’était le cas, il s’est
vite éteint. La médecine d’aujourd’hui fait de grandes
prouesses, ils ne doutent pas qu’un vaccin sera vite mis sur pied,
plus encore s’il est question d’économie.
*
Henriette
s’était levée très tôt. Elle avait eu une nuit agitée, c’était
régulièrement le cas lorsque sa petite fille venait la voir. Elles
allaient passer cinq jours ensemble. Cinq jours merveilleux, même si
fin février-début mars était moins attrayant qu’un mois de mai.
Elle avait espéré voir tomber quelques flocons, pour la petite.
Mais non, décidément, la neige ne voulait pas leur faire ce cadeau.
Les sommets étaient enneigés, mais ici, rien. Chose incroyable,
elle avait même trouvé une primevère dans le jardin. Jamais elle
n’en avait vu éclose à cette époque de l’année. Dans quelques
jours, les premiers bourgeons apparaîtraient. La nature était
complètement détraquée. Pourtant, Ludo lui avait dit qu’ils
auraient un hiver terriblement froid. Foi d’experts d’internet.
En novembre, il avait lu plein de rapports divers, la corrélation
avec les courants marins, l’alignement des planètes, tous ces
trucs métaphysiques. Elle ne lui avait pas donné tort, les oignons
du jardin étaient épais, ils avaient de nombreuses couches. Alors
c’était un double signe. Un double plantage. Si ni les experts, ni
la nature n’étaient capables de prédire les événements, à qui
se fier ?! L’hiver n’avait finalement jamais été aussi
chaud. Il ne restait plus que trois semaines avant de voir arriver le
printemps, elle avait commencé à retourner la terre pour l’aérer,
bientôt, elle planterait les haricots, les salades, les radis. Pas
besoin d’attendre les Saints de Glaces, les semis pousseraient à
leur rythme, enfouis dans la terre.
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