J’ai longuement hésité. J’y vais,
j’y vais pas. J’y vais pas, j’y vais…
Fin de saison, fatigue, manque de
motivation, printemps… A vrai dire, je ne savais même plus trop quelles raisons
pouvaient orienter ma décision en faveur du départ. La raison aurait voulu que
face à cette balance dont tous les arguments penchaient à la faveur du non, je
m’abstienne.
Il n’aurait pas été étonnant que
je reste. Mais j’étais sensé être homme de paradoxe, et pour ne pas ternir une
réputation dont j’avais eu un mal fou à me forger, je suis donc parti. Où
ça ? Pour une course en Norvège, trois semaines après les dernières
épreuves françaises. Le plus difficile était moralement. Ça impliquait de ne
pas remiser tout de suite ses skis dans le placard, poursuivre quelques séances
d’entraînement sur neige, par plus de vingt degrés, et se dire que j’allais
encore en baver une nouvelle fois cette saison.
J’ai mis mes affaires dans la
voiture et j’ai pris la direction de l’aéroport. Il y avait des bouchons dans
Genève. Des travaux par-ci par-là, et j’ai failli louper l’avion. Le jeudi
soir, j’atterrissais en Norvège, pas loin d’Oslo. Le lendemain, je loupais le
train pour quelques minutes. J’avais trois heures de trajet pour rejoindre le
site de course. J’ai donc opté pour le bus. Le bus a pris du retard, et j’ai
loupé la correspondance pour les derniers cinquante kilomètres. Je me suis
retrouvé à faire du stop, perdu au milieu de nulle part, la housse sur une
épaule, le sac sur l’autre et l’estomac criant famine. Mais j’ai fini par
arriver à bon port.
Le lendemain, nous devions, tous
les concurrents, prendre un train qui devait nous amener au départ. Il y a eu
une panne d’une heure, et nous avons donc loupé le train que nous devions
prendre. Même si le départ a été décalé, il s’en est fallu de peu pour qu’on le
loupe. Mais je l’ai eu. On l’a eu. Finalement, j’ai commencé à me demander si,
dans l’enchaînement malheureux des événements, je n’avais pas une certaine part
de chance, vu que j’arrivais toujours à avoir ce pour quoi j’étais là.
On a fait la course, j’ai pris un
mauvais départ, et j’ai loupé le wagon de tête. J’ai néanmoins réussi à le
rattraper, et au fil des kilomètres, on s’est retrouvé à trois pour jouer le
podium. Trois bonhomme pour trois places, ça tombait bien. Je me suis battu
jusqu’au bout, mais j’ai terminé deuxième. Deuxième, c’était pas mal, j’étais
fatigué, content de moi, je venais de clore une belle saison.
–T’aurais pu gagner, non ?
m’a-t-on fait au retour.
Je n’ai pas compris la remarque.
Deuxième, ça restait une jolie place. J’avais terminé à quelques secondes du
vainqueur.
En fait, j’avais loupé la Subaru.
Oui, il y avait une Subaru pour
le vainqueur. En rentrant, ma vieille 106 m’attendait sur le parking. Je suis
quelqu’un de fidèle. Et puis, je l’avais depuis tant d’années, ma vieille
titine. Qu’est-ce que j’aurais fait d’une Subaru rutilante, brillante, toute
neuve ?
J’ai mis le contact, le moteur a
toussé et s’est étouffé. Un gros nuage de fumée est sorti du pot d’échappement.
Ensuite, plus rien. Je suis resté en plan sur le parking.
Oui, j’ai loupé la Subaru…