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jeudi 23 avril 2020

confinement: page 30


[...]
Elle prit une grosse couverture et s’installa dehors, pour regarder le lever de soleil au-dessus de la montagne. Pour se préparer à en voir d’autres, avec la petite. C’était leur plaisir à toutes les deux. S’installer confortablement sur le canapé d’extérieur, prendre un thé en regardant l’astre poindre, tirant derrière lui un nouveau jour, puis revenir au couchant et le voir disparaître, parfois dans un tourbillon de couleurs dorées, jouant avec la brume et les nuages disséminés. Le ciel flambait alors, il n’y avait pas de mot pour le décrire, pas de photo pour l’immortaliser, il fallait être là, le graver dans les prunelles, et espérer que le lendemain offrirait le même spectacle.
Avec la petite, les journées n’étaient jamais longues. Il arrivait qu’elles passent des heures sans se parler, à observer la nature, à regarder les légumes germer, les insectes voler, les abeilles butiner les fleurs des arbres fruitiers qu'Henriette avait tout autour.
Ils avaient eu des ruches, avec Maurice. C’était elle qui en avait eu l’idée, pour aller encore plus loin dans cette volonté de toute produire eux-mêmes. Les belles années, la récolte dépassait les vingt kilos. Ils avaient mis une plaque en verre sur le dessus de la ruche, afin de pouvoir les observer travailler. C’était féerique, de les voir s’agiter dans cette grande boîte, se bousculer, échanger des messages qu’elles seules comprenaient. Les abeilles avaient une vie sociale bien établie avec la reine, les ouvrières, et les faux bourdons. Les ouvrières avaient un rôle précis et aucune n’empiétait sur la fonction de l’autre.
Lorsqu’elle récoltait le miel, il arrivait qu’une gardienne s’attaque à elle, l'abeille ne lâchait pas sa cible, même plusieurs jours après. Henriette était obligée de l’écraser, l’abeille l’aurait de toute façon piquée et serait morte en essayant de retirer le dard de la peau de sa victime. Elles étaient têtues, comme les humains ! Elle se souvenait être restée une matinée complète à regarder ce fourmillement dans cette couleur or, mais à la mort de Maurice, il y a cinq ans, elle avant abandonné l’apiculture. Elle ne pouvait plus les déplacer, son dos le lui avait fait comprendre, l’ostéopathe aussi, lorsqu’il était venu la manipuler pour la débloquer. Elle avait senti un craquement lorsqu’elle avait retiré le rayon. Elle s’était traînée jusqu’au téléphone, elle avait appelé le boucher, qui connaissait tout le monde dans la commune, et lui avait demandé de l’aide. Avant la fin de la journée, un jeune ostéopathe sonnait à sa porte. Elle n’avait même pas pu aller lui ouvrir, elle lui avait crié d’entrer et il l’avait remise sur pied. Elle lui avait fait un chèque, donné des œufs, des conserves. Le jeune homme avait été gêné, mais Henriette avait insisté, quand elle avait une idée en tête, inutile de lui résister.
– J’ai envie de vous dire que je reviendrai souvent, avait-il fait alors en rigolant, mais j’espère que non, je préfère autant vous savoir en bonne santé. Par contre, pour les ruches, vous savez ce que j’en pense…
Oui, elle avait compris. Ne plus porter de choses aussi lourdes. Il fallait qu’elle s’autorise à vieillir. Petit à petit, elle devait abandonner ses passions, son corps ne supportait plus ce que sa tête voulait lui imposer, il craquait, chaque jour davantage. C’était ça, vieillir, comprendre que le corps ne veut plus, que les muscles s’atrophient, que les os se fragilisent, qu’il faut se faire une raison, même si au fond, elle ne l’acceptait pas. Vieillir, mourir, si, mais pas dans ces conditions, pas en perdant tout, son mari d’abord, et se faire abandonner par son propre corps. Si l’esprit partait en même temps, soit, mais ce n’était pas le cas, sa tête fonctionnait trop bien, c’était ça, le plus dur.
Elle espéra disparaître avant ses abeilles. Il y avait encore un essaim dans la ruche, elle n’y touchait pas, allait néanmoins l’observer durant l’hiver. Les apiculteurs se plaignaient du manque de production, la faute aux pesticides, au manque de terres fertiles. La faute, comme pour tout le reste, à l’évolution.



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