Alors
il a pris un tournevis, de la colle à bois, du fil et une aiguille,
il s’est mis à démonter, réparer, coller, rapiécer, recoudre,
il a décidé qu’il ne jetterait plus, qu’il ne nourrirait plus
les multinationales dévorantes.
J’aimerais
dire que tout ça, c’est la faute du quincaillier, ça me donnerait
une raison de de détester davantage le commerçant, qui a bien
entendu une part de responsabilité dans tout ça, mais mon mari
était simplement devenu fou, une folie douce, pas méchante, la
retraite lui avait grillé ses neurones, il avait perdu ses
fondamentaux, je vivais avec un gamin irresponsable. Aussi bien,
aujourd’hui, il est en train de poursuive sa régression, et je le
retrouverai un jour, totalement immature, au stade de l’enfance.
Comme dans ce film, là, où le héros naît vieillard et traverse
les années en rajeunissant.
Je
sonne à la porte, Xavier ouvre en me souriant.
–
Arrête de sourire, lui dis-je, sinon, je repars toute la foulée.
–
Tu devrais essayer. Tu sais que l’action de sourire, envoie des
messages positifs au cerveau ? Le fait d'actionner les muscles
qui font sourire libère les endorphines et donne donne une sensation
de bien être. Il suffit de se forcer à sourire pour être mieux
dans sa peau.
Xavier
est mon homme de compagnie. Il le sait, ne s’en offusque pas. Je
comble son statut de veuf une fois par semaine. C’est un bel homme,
épargné par l’âge. Il n’est pas spécialement intelligent,
mais ça m’arrange, pour partager un bon moment dans un lit, il est
inutile d’être avec Einstein. A soixante-cinq ans, j’aime
profiter des plaisirs de la chair, je ne suis pas encore nonne.
J’exploite les passe-temps que mon corps peut m’offrir. Parfois,
je passe une nuit ici, je repars au matin, avant le petit-déjeuner,
pour m’éviter des conversations matinales déplacées. Je suis du
genre à me lever du pied gauche.
Il
est allongé sur le dos, l’odeur de la cigarette me réveille. Je
tends la main et lui prend le mégot incandescent, je gonfle mes
poumons, j’inspire l’air mélangé de tabac. L’oxygène fait
crépiter la braise au bout de la tige blanche, que c’est bon. Je
forme un cercle avec ma bouche et souffle des halos de fumée.
–
Tu sais que l’OMS est en train de tirer la sonnette d’alarme ?
–
De quoi tu parles ?
–
Bah, du virus, fait-il comme si c’était évident.
–
Faut préciser, je ne suis pas devin.
–
Désolé, s’excuse-t-il. J’ai lu ça dans le journal ce matin. Un
méchant virus, à ce qu’il paraît, qui est en train de s’étendre
à grande vitesse.
–
Les chinois sont trop nombreux, leur pays trop petit, ça leur fera
une cure de jouvence.
–
Ce que tu peux être méchante.
–
Méchante ? Méchante de quoi ? Regarde la vie qu’ils
ont ?! Ils habitent dans des mégalopoles si polluées qu’ils
ne voient même plus la couleur du ciel.
Il me
dit que oui, c’est un fait et qu’il y a des millions de mort
là-bas à cause des émissions de particules, fines ou lourdes.
Qu’il a lu que là-bas, beaucoup de villes se chauffaient encore au
charbon, que c’est pour ça qu’il y a un gros voile jaunâtre
au-dessus des cités. Je le laisse parler sans l’écouter, comme si
sa voix était une douce musique. Il a une jolie voix grave, sonore,
qui fait vibrer tous les objets qu’il y a autour.
Il
est à la retraite, lui aussi. Il a travaillé toute sa vie comme
mécanicien dans une usine de décolletage, à faire des réglages
sur les machines, à venir les secourir lorsqu’elles tombaient en
panne. Il rigole en disant qu’il était le médecin des usines, il
sauvait les vies de machines. Moi, j’étais comptable, j’ai sauvé
les vies des entreprises en leur évitant la faillite. Comme quoi,
tout le monde sauve des vies.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire