–
…avec des masques, poursuit-il alors que je viens de reprendre le
fil de sa conversation. Mais ils ont toujours des masques. Les
gouvernements vont peut-être demander le rapatriement de tous leurs
ressortissants ?
–
Xavier ?
–
Oui ?
–
Chut. Tu m’ennuies, là.
–
Ah, pardon.
Il se
tait, je me dis que j’aime sa voix, mais je préfère tout de même
quand il ne parle pas. Il n'y a rien de meilleur que le silence.
*
Yoann
est essoufflé. Sabrina trottine devant, elle prend un malin plaisir
à le fatiguer. Elle est douée en course à pied. Petite, elle
gagnait tous les cross au collège. Elle a terminé première en
course académique. Elle s’en souvient, c’était à Privas. Sa
médaille avait trôné fièrement sur son étagère durant de
longues années, jusqu’à ce qu’elle décide que les garçons
étaient plus intéressants que le sport. Qu’il n’y avait aucune
gloire à tirer des exploits sportifs.
Elle
s’est remise à courir après la naissance de Louise.
Un besoin oppressant, sûrement lié au fait de s’être dit qu’ils
s’arrêteraient à trois enfants. Trois filles, c’était très
bien, tant pis s’il n’y avait pas d’un petit garçon dans la
fratrie. Elle y va chaque soir, le midi de temps en temps,
lors de la pause déjeuner. Sa première sortie a été un véritable
calvaire. Comme si elle avait redécouvert les fonctions de ses
muscles du bas du corps. Au bout de dix minutes, elle pensait avoir
fait une heure, elle tirait la langue, elle était en nage, cherchant
son souffle. Elle se sentait maladroite, avec ses grandes jambes. Et
comment oublier le lendemain ? Elle n’avait jamais eu de
telles courbatures, elle jurait à chaque marche, en descendant les
escaliers. Douleurs aux quadriceps, aux mollets, aux adducteurs, aux
abducteurs, aux ischios jambiers… La totale.
Il
lui a fallu une semaine avant de remettre une paire de baskets. Et
puis, lentement, le corps s’est habitué. Elle est passée à deux
séances hebdomadaires, puis trois. Aujourd’hui, elle se laisse le
dimanche de repos. L’hiver, elle va courir avec une frontale. Au
départ, c'était sur la route, uniquement. Mais elle a rapidement
trouvé ça monotone. Le goudron, les voitures, les lignes droites...
Elle a acheté une carte du coin, regardé les itinéraires sur
chemins, a fait fonctionner son réseau de copines,
Pour
le printemps, elle s'est fixé un objectif. Autant se mettre un vrai
challenge. Elle a épluché les pages sur les trails, elle avait
entendu parler de l'UTMB, le trail le plus renommé au monde, mais
elle a abandonné l'idée. L'inscription est compliquée, il y a un
système de point, et puis un tirage au sort. De toute façon, il
faut s'y prendre plus d'un an à l'avance, c'est bien trop compliqué.
Sur le moteur de recherche, elle a tapé « les plus beaux
trails de France ». Elle a été surprise, parce que beaucoup
de trails renommés affichent complet peu après avoir mis en ligne
les inscriptions. Mais elle en a trouvé un, au pied du plateau des
Glières. Elle connaît le site de nom, la résistance, le plateau
qui a survécu à l'occupation. L'image d'une grande guerre faisant
bien trop de morts, mais au dénouement heureux quand même. Elle a
lu un article qui l'a fait sourire, écrit par un type dont elle a
oublié le nom, mais dont elle se souvient que le patronyme était
celui d'une grotte, oui, c'est ça, Lascaux. Et puis un diminutif à
trois lettres, Ben, de Benjamin, certainement. Benjamin Lascaux.
Bref, elle a lu que c'était le
lieu incontournable d'une espèce en voie d'apparition, les
Triandins. Les Triandins, c'est une belle bande de bons vivants, un
groupe de sportifs né en même temps que le trail et qui
est désormais indissociable de son organisation. Il y était aussi
question de Trolls, de voir si la grotte de l'Enfer portait bien son
nom, et de balcons à la vue imprenable. Alors si elle pouvait voir
autre chose que la vue depuis son balcon, qui offrait un panorama
incroyable sur les fondations de l'immeuble d'à côté, elle signait
immédiatement. L'ambiance y était apparemment survoltée, avec des
spectateurs en masse, des groupes de rock, sans oublier les
barbecues, frites, crêpes, gaufres, gâteaux et autres friandises
dont elle raffolait après l'effort. Sans oublier LA fameuse bière
de récupération.
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