Pour
le reste de la semaine, Henriette n’avait rien prévu, rien
organisé. Elle laisserait comme toujours la place à la spontanéité,
au hasard, aux envies du moment. Il n’y avait que les rencontres
qui se planifiaient, savoir à quelle heure et quel endroit, pour le
reste, elle laissait la providence faire son travail. Elle savait que
la petite aimait ça, c'était un jeu auquel elle se prêtait
volontiers. Jamais elle ne s’était plainte du manque de rigueur de
sa mamie, de ce côté marginal, un peu fouillis. La dernière fois,
lorsqu’elles s'étaient appelées, elle lui avait dit que c’était
elle, qu’elle ne devait rien changer, surtout pas cette
authenticité.
Le
bus traversa la campagne, bien que de campagne, il ne restât plus
grand-chose de ces espaces verdoyants et déserts. Ç'avait été le
cas à la fin du siècle dernier. Dans les années soixante-dix,
quatre-vingt, les champs avaient commencé à bien se vendre, les
agriculteurs avaient trouvé un filon, il valait mieux transformer
leurs parcelles en habitable et y faire pousser des maisons plutôt
que de continuer les exploitations au tracteur pour y faire pousser
des céréales et des légumes, ou y mettre en pâtures les vaches.
Les
villages s'étaient agrandis. Au début des années 2000, les lopins
valaient de l’or, le département était attrayant. Les montagnes –
surtout le ski l’hiver – en avaient fait une terre prisée.
Henriette aimait bien sa vie d’avant, les routes peu fréquentées,
le silence du soir. La petite lui dirait qu’à cette époque, il
aurait été bien difficile de vivre sans voiture. Et elle aurait
fichtrement raison.
Henriette
regardait le paysage défiler, s’immobiliser lorsque le bus
s’arrêtait. Elle était nostalgique, elle l’avait toujours été,
ce genre de choses ne changeait pas en vieillissant. Elle n’aimait
pas l’évolution, elle avait la certitude que les plus belles
années étaient derrière, qu’il y avait eu un âge d’or, entre
les années quatre-vingts et les années deux mille.
Pour
elle, comme pour la vie alentour.
En
quatre-vingts, elle avait quarante-cinq ans, Maurice et elle
terminaient de retaper la ferme, leur fille unique avait quitté la
maison, elle avait apprécié de se retrouver, seuls, elle et son
mari. Ils avaient de nombreux projets. Simples.
Elle
était heureuse, un bonheur sans concession.
Elle
se dit que Maurice lui manquait. Ça ne durerait qu’un temps,
bientôt, elle irait le rejoindre. Il resterait encore de délicieux
jours à vivre, mais les plus beaux, oui, ils étaient derrière.
Il y
eut plusieurs kilomètres sans habitation avant de voir naître les
premières maisons ceinturant la grosse ville. Puis les grands
immeubles. Le bus marqua de nombreux stops aux feux, aux passages
piétons. Il y avait du monde sur les trottoirs. C'était l’heure
de la sortie des classes, les enfants tenaient la main de leur
parent, beaucoup n'avaient qu’un pull, pas de veste, il faisait
chaud, et le soleil, fin février, commençait à être haut dans le
ciel, il chauffait davantage qu’au mois de décembre. Il avait fait
vingt degrés, aujourd’hui.
Vingt
degrés, en février.
Ma
vieille, si je t’entends encore penser une seule fois qu’on
n’aurait jamais vu de telles températures quand tu étais petite,
je...
–
Je quoi ? se répond-elle.
–
Je te noie. Je t’assomme. Je t’étripe.
–
C’est ça, essaie toujours !
Elle
rigola toute seule.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire