Une
part d'orgueil. Lui montrer qu'il en était capable. Il n'a jamais
été très doué en sport d'endurance. Son truc, c'est plutôt la
musculation, les tractions, les pompes. Les salles de sport,
ressortir vidé au bout d'une heure en ayant mal partout. Il y a de
la douleur, dans les sports d'endurance, il ne peut pas le nier. Mais
c'est différent, en muscu, il fait une série d'exercices, puis il
prend un temps de pause, alors que là, il ne peut pas s'octroyer de
repos, ne serait-ce que pour souffler un peu. Parce que Madame est
devant et ne se prive pas pour l'agacer. Il sent néanmoins qu'il a
beaucoup progressé, depuis ses premières sorties. Dorénavant, il
est capable de courir dans les montées sans s'arrêter, tout en
gardant une foulée correcte. On lui aurait dit ça le mois dernier,
il aurait hurlé de rire. Pour lui, ceux qui couraient dans les
pentes étaient de vrais timbrés. Désormais, lui-même fait partie
de cette secte marginale des Trailers.
Il ne déteste pas courir dans les chemins. Il ne peut pas dire qu'il
y prend du plaisir, parce que ce serait accorder victoire à sa
femme, lui qui l'a tant traitée de gentille folle lorsqu'elle y
allait pendant toutes ces années. Samedi dernier, elle l'a emmené
en direction sur les contreforts du Vercors au-dessus de
Romans-sur-Isère. Avec l'effort, la fatigue, la satisfaction de
l'accomplissement, il avait trouvé la vue extraordinaire.
–
Alors, tu aimes ? avait fait
Sabrina, alors qu'ils étaient tous deux assis sur un banc, admirant
la vallée en contrebas.
–
Bof. Je préfère les salles.
Trop tôt pour lui donner raison. Sinon, elle allait se pavaner
pendant tout le reste de l'hiver.
Il sait qu'il est en train de se prendre au jeu. Que son amour-propre
parle aussi, qu'il aimerait bien qu'elle n'ait plus à l'attendre
sans cesse, qu'il puisse rivaliser, ne serait-ce que dans les
descentes. Mais là-aussi, elle est meilleure que lui. Pourtant, il
était persuadé, dès la première sortie avec dénivelé, qu'il ne
verrait plus ses fesses. Oui, c'est ce qu'elle lui avait dit dès le
début, pour le motiver un peu : « Apprécie, mon chéri,
tu n'en as pas fini de voir mon derrière ».
Il
avait ri. En rentrant de la sortie, beaucoup moins. Il n'avait pas pu
mettre le moindre pied devant elle. Dès le début, elle l'avait mis
dans le rouge. Battements cardiaques à fond, hyperventilation, acide
lactique dans les jambes, goût du sang dans la bouche. La fameuse
zone rouge, bien
connue des sportifs.
Les
deux coureurs sont rentrés, douchés. Aurore a préparé le repas
avec ses sœurs pour les occuper. Une tourte aux légumes. Elles
aiment bien cuisiner lorsqu’elles sont toutes les trois, elles sont
studieuses, les petites ne se querellent pas, c'est mignon à voir.
Aurore leur donne une tâche à chacune, il faut qu’elles soient
occupées et surtout, que le travail n’empiète pas sur celui de
l’autre. Elles ont rechigné lorsqu’il a été question de
légumes, mais elles ont été heureuses de les noyer dans la pâte.
Aurore
est en classe internationale, elle a pris chinois en seconde langue.
Elle n’est pas sûre que le déplacement prévu en fin d’année
soit maintenu, avec ce qui se passe en ce moment.
–
Toute la région de Wuhan est confinée, explique-t-elle à ses
parents lors du repas. Vous vous rendez compte ? Des millions de
personnes n’ont plus le droit de sortir de chez elles.
L’épidémie
de Coronavirus a déjà fait de nombreux morts, là-bas.
L’Organisation Mondiale de la Santé a tiré la sonnette d’alarme,
la Chine vient de prendre des mesures importantes, en fermant un
grand nombre d’usines. Incroyable, quand on pense à l’impact sur
l’économie. Non seulement celle du pays, mais aussi à l’échelle
internationale, tant de nombreuses nations ont importé leur savoir
faire en Chine. Automobile, textile, électronique… Aurore ne
connaît pas beaucoup de filières qui n’utilisent pas au moins un
élément fabriqué en Chine.
Ils
se disent que c’est typiquement chinois. Que ce genre de
confinement de peut être respecté que dans un pays communiste.
Russie, Corée du Nord… il n’y a que ces États quasi
dictatoriaux pour imposer de telles mesures, et la crainte des
représailles oblige leur peuple à les respecter. Ils n’ont pas le
choix. En Russie, les opposants au régime de Poutine finissent en
tombe. Combien d’assassinats y a-t-il eu pour les contrevenants ?
Aurore évoque avec ses parents cette journaliste, grande militante
des droits de l'homme et opposée au régime de Poutine.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire