–
La décision doit être pour quand ?
–
La semaine prochaine. C'est notre plus gros dossier, si nous
l'obtenons, si le client signe avec nous, il y aura une grosse prime
en fin d'année. Pour moi, une augmentation garantie.
–
Je te fais confiance.
Elle
disposa soigneusement les assiettes sur la table.
–
Tu sais que j'ai été alpaguée par l'une des employées, à la
crèche ?
–
Au sujet de quoi ?
–
Jules aurait tapé l'un de ses camarades.
Elle
insista bien sur le conditionnel. Elle connaissait son enfant, de
même que les enfants, de manière générale. Elle savait qu’il
n’y avait pas d’acte gratuit. Qu’il avait certainement été
contraint de le faire. Bertrand ne trouva rien à répliquer.
–
Tu m’entends ? lui fit-elle.
–
Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Nous n’étions pas
là. Tu sais, les petits, avec la fatigue, ils font des gestes
déplacés. Mordre, taper, crier.
–
Pas notre fils, répliqua-t-elle avec assurance. Crier, peut-être,
taper, non. Il n’a jamais tapé, ce serait surprenant qu’il s’y
mette comme ça, du jour au lendemain.
–
Il est fils unique, il ne vit qu’avec nous. En dehors…
–
C’est bon, laisse tomber, fit-elle en levant la main. Je vais
régler ça avec lui ce soir.
Ils
mangèrent la pizza devant un dessin animé. La Reine des neiges. En
ce moment, il tournait en boucle, Jules était fan.
Ensuite,
brossage de dents, et câlin. C’était elle qui s’occupait de le
mettre au lit, Bertrand s’était proposé au début, les premiers
mois dans sa chambre, mais elle avait insisté pour que ce soit elle,
Jules avait besoin de sa maman, c’était indéniable.
Lorsqu’elle
le borda, elle évoqua le conflit de la garderie.
–
Tu sais mon chéri, la dame de la garderie m’a dit que tu avais
tapé un copain. C’est vrai ?
Il ne
répondit pas.
–
Tu peux tout mon dire, mon petit prince. Tu sais que maman ne se met
jamais en colère. Maman t’aime très fort. Elle veut juste te dire
que ce n’est pas bien de taper.
–
Câlin, fit-il pour toute réponse. Câlin, maman.
Elle
le serra fort dans ses bras. Se passa en boucle les conseils lus dans
les magazines qu’elle lisait sans cesse. Prendre du recul pour être
capable de clarifier les sources de conflits, ressentir les émotions
désagréables pour mieux les bannir. Savoir percevoir ses propres
inquiétudes, comprendre s’il s’agit de ressentiment, d’angoisse.
Elle
savait qu’elle avait une grande responsabilité en tant que mère,
elle avait tellement peur de ne pas faire les choses comme il le
fallait, d’être un mauvais parent. Plus encore, que son Jules ne
l’aime pas. Lorsqu’elle le déposait à l’école, Jules
pleurait la plupart du temps. Alors son estomac se nouait, c’est
comme si elle l’abandonnait définitivement, elle culpabilisait de
lui faire vivre ce moment si difficile, bien que l’école soit
nécessaire et obligatoire. Mais il était si petit. Avec nounou
Delphine, c’était plus simple, tous deux se connaissaient
parfaitement.
Elle
commençait aussi à avoir un peu peur, avec cette mauvaise histoire
venue de Chine. Il faudrait qu'elle fasse davantage attention avec
son ange. Jamais elle n'oubliait de lui laver les mains lorsqu'il
arrivait à l'appartement. Les sols étaient parfaitement nettoyés,
récurés, javellisés, aseptisés, pas une bactérie ne devait
traîner à l'intérieur.
Mais
le danger venait toujours de l'extérieur.
*
Je
suis passée devant le quincaillier, au bout de la rue. Je ne lui
adresse plus la parole. Cet homme, en plus d’être mal poli, est un
idiot. J’allais lui acheter des broutilles, auparavant. Pour me
dépanner. Ses tarifs étaient bien trop élevés pour que j’y
aille régulièrement. Mon mari l’aimait bien. Il aurait appris à le
connaître au moment de la retraite.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire