C’est
fou comme on découvre les gens, après coup. C’est un chouette
type, m’avait-il avoué un soir après avoir refait le monde avec
lui.
Il
était rentré dans l’appartement en faisant un vacarme du diable,
il avait bu des bières. L’alcool rapproche surtout les abrutis, et
à eux deux, ils faisaient la paire. Mon mari a décidé ensuite
d’aller lui donner des coups de main, mise en rayon, déchargement
des marchandises, livraisons chez le client. Bénévolement.
Je
dis encore mon mari, parce que nous ne sommes toujours pas divorcés.
Il ne me l’a pas demandé, encore l’une de ses frasques
incompréhensibles. Moi, ça m’a bien arrangée, l’appartement
est à moi, j’ai gardé la voiture, le tout avec un joli compte en
banque.
Pour
en revenir au quincaillier, j’allais lui acheter des géraniums,
chaque printemps. J’attendais que la saison soit bien installée,
que tous les clients aient acheté les leurs, et lorsque je voyais
que les plantes ne s’écoulaient plus, j’allais le voir en lui
proposant d’acheter le reste et qu’il me fasse un rabais. Je
n’allais tout de même pas les lui acheter au prix fort. Il y a
trois ans, à la mi-mai, voyant trois bacs restant devant la vitrine
de son magasin, je lui ai demandé de faire un effort supplémentaire,
les géraniums n’étaient pas franchement beaux.
Il
m’a observée en souriant.
–
Vous savez quoi, ma petite dame, pour vous, je ne vais pas faire un
prix supplémentaire, je vais au contraire vous les proposer au prix
que je fais à tous les clients qui viennent au magasin, parce que
vous voyez, pas l’un d’entre eux ne me demande jamais une
ristourne, ils viennent m’acheter mes produits parce qu’ils ne
veulent pas faire fonctionner la grande distribution, ils préfèrent
les commerces de proximité, ils veulent du contact, ils savent que
je vais me plier en quatre pour eux si besoin, que j’irai leur
livrer gratuitement leur machine à laver, et même la leur
installer, parce que c’est un service que je leur dois, c’est du
donnant-donnant. Ils viennent ici parce qu’ils ne veulent plus de
ces immenses magasins sans vie, aux rayons foisonnants de produits
importés d’Amérique, de Chine, d’Asie, de Russie, de partout
sauf de France. Alors que moi, je fais tout pour utiliser notre
savoir faire, et je ne veux plus de Made in machin truc, je
veux du fabriqué en, avec le mot France qui va derrière, je
veux que les gens comme moi, qui vivent ici, aient la chance de
pouvoir travailler sans concurrence déloyale, je veux que mes
clients soient heureux de franchir le seuil de cette porte, qu’on
puisse taper la causette, boire un café, rire, et même se faire un
bon gueuleton lorsque le temps est pourri et que la clochette
d’entrée de tinte pas beaucoup.
–
Je comprends pourquoi mon mari aimait bien venir ici. Vous êtes
aussi fou que lui. Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas vous
qui lui avez mis toutes ces idées en tête.
–
Madame, a-t-il poursuivi sans perdre son sourire ni sa bonne humeur
apparente, je pourrais moi-même dire que je comprends pourquoi votre
mari vous a quittée, ou être insultant en avouant que je comprends
pourquoi il aimait passer plus de temps ici que dans son appartement,
mais je vais en rester là. Je vais vous dire une chose, à la fin de
chaque mois, lorsque je fais le bilan, je m’en tire avec un peu
plus qu’un SMIC. Je ne vais pas me plaindre, j’ai la vie que j’ai
choisie de mener, personne ne m’a obligé à faire ce métier, je
le fais parce que je l’aime, j’aime la proximité, le contact
avec les gens, les discussions, irréelles parfois, passionnées,
passionnantes. Je suis heureux, j’aime rendre service, mais je
déteste l’hypocrisie, et je déteste encore plus les personnes qui
ont beaucoup et qui ne donnent rien. Si vous souhaitez divers
produits, je serais toujours là pour vous servir tout en étant le
plus aimable et le plus serviable possible, sinon, je souhaite à
votre argent de bien dormir dans votre porte-monnaie.
Il
s’était ensuite courbé pour me saluer et était retourné à ses
affaires. Je ne suis plus jamais passée devant son magasin,
préférant, si je dois marcher dans la rue, le trottoir d’en face
pour être sûre de ne pas avoir à le saluer. Il ne manquerait plus
que ça.
Je ne
veux pas voir son sourire permanent, ce sourire qui lui donne un air
idiot. Sourire sans raison n’a aucun sens, seuls les imbéciles le
font.
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