La semaine précédente, il y avait eu plusieurs cas dans la commune,
alors c'était décidé, elle avait retiré l'enfant de la garderie,
elle s'était arrangée pour terminer le travail plus tôt. Elle
passerait par la même occasion plus de temps avec lui, pour leur
plus grand plaisir à tous les deux.
Elle l'avait davantage sensibilisé aux microbes, ne pas s'approcher
des autres enfants, même en classe. Il se lavait les mains tous les
jours, mettait du savon comme elle le lui avait expliqué, et se
frottait longuement les mains. Il aimait se les laver, avec le savon,
c'était assez drôle, les bulles se formaient sur sa peau, il
essayait de les faire les plus grosses possibles.
Sa maman lui avait acheté des masques, il était obligé de les
mettre lorsqu'ils allaient au parc. Ce n'était pas très drôle pour
jouer, mais elle les mettait aussi, alors il les acceptait plus
facilement. Il avait compris qu'il n'avait pas le choix. Il pouvait
rouspéter sur beaucoup de choses, mais sur ce sujet, elle était
intransigeante.
Jules allait souvent chez le médecin. Sa maman pensait qu'il avait
des problèmes de digestion. Elle lui avait supprimé le lactose,
ainsi que le gluten. Pour lui éviter la cantine, elle rentrait
chaque midi préparer à manger. Ainsi, elle contrôlait les aliments
qu'il ingérait. Elle achetait des produits biologiques. Elle savait
à quel point les pesticides perturbaient le corps et son système
immunitaire. Elle avait téléchargé l'application qui permettait de
savoir si le produit acheté était bon pour la santé. Vérifiait
également chaque date de péremption sur les aliments. Par mesure de
sécurité, elle les jetait une semaine avant pour la plupart des
denrées alimentaires. La veille pour les produits frais. Elle aurait
pu les donner à quelques associations, mais elle n'y avait jamais
pensé.
Jules s'était rendormi dans ses bras, elle-même s'était rendormie
dans son lit, comme souvent. Son instinct maternel la réveilla
quelques minutes avant huit heures. Il fallait qu'elle appelle le
médecin de garde à huit heures tapantes, pour être certaine
d'avoir un rendez-vous le plus tôt possible.
*
Mon mari s'appelait Michel. Non, il n'est pas mort. Je devrais plutôt
dire : mon ex-mari s'appelle Michel. Mais comme nous ne sommes
pas séparés, de manière légale, je ne sais plus comment le
qualifier, mais ça n'a pas d'importance. Il m'a souvent dit que
vieillir ne m'allait pas. Il était allé jusqu'au paroxysme du
mauvais goût m'achetant, les derniers mois de vie commune, un
exemplaire de ces livres pour enfants : Monsieur, Madame.
Dans le paquet cadeau fade, vert kaki, j'y avais trouvé l'exemplaire
de Monsieur Grognon. Il y avait barré le Monsieur pour y remplacer
Madame, au marqueur indélébile noire.
–
Je sais, c'est débile, avait-il
fait en rigolant à son propre jeu de mot.
Je
n'avais pas esquissé le moindre sourire, j'avais planté longuement
mes yeux dans les siens. J'avais saisi le livre sans l'ouvrir, puis
l'avais jeté immédiatement à la poubelle.
–
Tu devrais le feuilleter, m'avait-il
alors conseillé. Bien que le vocabulaire emprunté ne soit pas très
poussé, il y a une jolie morale dans ce livret.
–
Non. Par contre, j'irai voir s'il
existe des exemplaires de Monsieur Con, et je te promets que je t'en
offrirai à mon tour pour ton anniversaire.
Il avait détourné son regard, préférant la fenêtre, les arbres
en fleurs, le ciel nuageux et gris, à mon visage.
–
Ça m'étonnerait, avait-il
finalement marmonné.
Je n'avais pas saisi la teneur exacte de son propos. Ça m'étonnerait
quoi ? Que je trouve ce livre ? Que je soie capable de le
lui offrir ? Que j'y pense lors de son anniversaire. Il n'a pas
fallu un mois pour que comprenne que je n'en aurais tout simplement
plus l'occasion : jamais nous ne fêterions un autre de ses
anniversaires ensemble.
Il est parti sans se départir de son sourire, il était même plus
intense, plus étiré, plus grotesque. Comme si ce sourire voulait me
faire dire que l'homme serait plus heureux ailleurs. Que le bonheur
ne tenait qu'à un sourire, une petite valise avec un minimum
d'affaires, et des projets en pagailles.
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