Elle regarda les photos accrochées aux murs de sa chambre. Elle les
trouvait magnifiques. Jules lorsqu'il venait de naître. Jules à six
mois. Son premier anniversaire, sa première bougie. Les premiers pas
de Jules. Jules dehors, dans les bras de son père. Jules sur un
manège. Sa deuxième bougie... Dans le salon, il y avait aussi de
nombreux clichés. Deux fois par an, ils allaient faire une séance
photos chez un professionnel, elle tenait à immortaliser leur
famille.
Jules avait une bonne bouille, elle ne disait pas ça parce
qu'elle était sa mère. Elle le savait, sans qu'on ait besoin de le
lui affirmer. Beaucoup de personnes disent d'un enfant qu'il est beau
pour faire plaisir à leur parent, mais ne le pensent pas forcément.
Concernant Jules, c'était un fait, une évidence. Elle se faisait
souvent la réflexion, lorsqu'elle voyait les autres enfants de son
âge.
Mon enfant est beau, vraiment très beau.
Elle le lui exprimait de cette manière. Dans ses lectures de
magazines, il était stipulé que l'enfant devait être mis en
confiance, c'était très important.
Tu es un joli, un très joli petit enfant qui fait le bonheur de sa
maman.
Il était son bébé, son amour, il lui appartenait comme elle lui
appartenait. Bertrand lui avait dit un jour qu'elle lui donnait trop
de place, et que lui, son mari, cherchait désormais la sienne.
Tu n'as qu'à la prendre, lui avait-elle répondu, piquée au vif.
Il avait rétorqué en souriant qu'il fallait pour cela qu'elle lui
donne un petit espace, à lui, son mari, pour qu'il puisse s'y
insérer. Elle l'avait traité de jaloux, d'égoïste. Il avait
laissé tomber.
Ils avait mis plusieurs années avant d'avoir un enfant. Ce n'était
pas évident, il y avait eu une fausse couche, et ensuite, plus rien.
Alors il avait fallu faire des tests, ils étaient allés dans un
laboratoire, faire des prélèvements. Mais tout fonctionnait bien,
la faute n'était pas plus imputable à Bertrand qu'à elle.
Au tout début, bien avant de connaître Bertrand, elle ne savait pas
si elle serait une bonne mère. Elle n'était même pas sûre de
vouloir un enfant. Ses premières années de couple avec Bertrand,
lorsqu'elle voyait les contraintes que cela engendrait chez ses
amies, elle pensait qu'elle n'était pas prête. Trop jeune, pas
assez responsable.
Elle comprenait aujourd'hui que toutes ces incertitudes étaient
liées à sa peur d'être mère, de ne pas faire comme il le fallait,
de ne pas savoir aimer, de ne pas être aimée, surtout.
Il y avait la peur de reproduire le schéma familial, hérité de sa
maman, qui n'avait jamais su l'aimer. Grandir, s'épanouir, dans ces
conditions, était très difficile. Se sentir aimée lui aurait
permis d'avoir plus d'assurance, d'avoir confiance en ses choix, de
ne pas douter sans arrêt. Sa maman était souvent absente pour le
travail, laissant Sandra chez ses grands-parents. Le reste du temps,
en colonie de vacances. Laissée à l'abandon lorsqu'elle était à
la maison, parce que ses parents étaient trop occupés.
Il fallait qu'elle comble le vide, un besoin nécessaire, impérieux.
Tout lui donner, ne pas le frustrer, car la frustration le mettait en
crise et ses crises lui serraient le ventre. Elle sentait les nœuds
dans ses intestins, son estomac, un mal viscéral qui lui coupait
l'appétit. Lorsqu'il pleurait, elle sentait l'angoisse monter en
elle, les larmes lui piquaient les yeux. Une sensation désagréable,
oppressante, elle ressentait ce qu'il vivait.
La grossesse avait été un moment exceptionnel. Elle s'était sentie
en communion totale avec son enfant, elle le sentait bouger dans son
ventre, il faisait partie d'elle, littéralement. Chaque jour, elle
lui parlait, lui racontait qu'elle l'aimait, qu'elle l'aimerait, plus
que tout au monde. Les trois premiers mois avaient été difficiles,
elle avait eu la nausée, elle vomissait régulièrement, mais
c'était un mal nécessaire. Il lui fallait passer par cette phase
pour apprécier davantage la suivante, lorsque l'enfant avait
réellement pris sa place en elle, lui déformant le corps à mesure
qu'il grossissait.
Elle avait appréhendé la première échographie. Elle ne pouvait
contenir ses tremblements. Le souvenir de la fausse couche, même si
elle avait été très précoce. Lors de ce moment terriblement
douloureux émotionnellement, elle avait eu beaucoup de saignements
un matin au réveil. Elle avait su que l'embryon ne s'était pas
accroché. La veille, elle avait fait du vélo, le sport avait
emporté sa grossesse.
Cette fois, lorsqu'elle avait vu l'embryon sur l'écran, elle avait
éclaté en sanglots.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire