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jeudi 7 mai 2020

Confinement: page 42

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Avec Paris, je me sentais libre. J'aurais aimé la découvrir en 68, participer aux manifestations, crier des slogans dans les rues. Peu m'importait la cause, qu'elle soit juste ou non, à cette époque, j'aurais voulu faire partie d'un mouvement, m'intégrer à la masse. C'était probablement le cas d'un bon nombre de manifestants, je ne crois pas que tous ces milliers d'étudiants avaient réellement une démarche idéologique, si ce n'était l'appartenance à un tout. 68, c'était le sommet des trente glorieuses, la vie n'avait jamais été aussi belle, le pays était en pleine croissance économique. Mais il y avait un gros ras le bol, de rien, de tout. Des inégalités, du chômage, du manque de liberté, de la guerre froide, du communisme, des saletés d'américains et de l'impérialisme. Alors oui, le peuple s'est offusqué, les étudiants en première ligne, mais de quoi, au juste ? Aujourd'hui encore, je n'en sais rien, je sais juste qu'il fallait faire grève. Comme l'année dernière, avec les gilets jaunes. Michel disait que la grève, elle coulait dans nos veines, il fallait qu'on lève le bras, qu'on se plaigne, qu'on revendique, c'était plus fort que nous. Il voyageait beaucoup à l'étranger, il me rapportait qu'en dehors des frontières, les gens avait, pour image des français, celle d'un peuple arrogant, chauvin et râleur. Je suis sûre qu'aujourd'hui, lorsqu'il repense à moi (même si je doute que penser à moi arrive), il se dit qu'ils n'avaient pas tort. Bien sûr, ils ont dû bien rigolé l'an passé, avec toutes nos manifs.

J'ai rapidement pris mes marques en capitale. Mon bar favori, dans lequel j'allais prendre mon café pour apprendre mes cours. J'y allais chaque jour, deux francs pour une heure de tranquillité, c'était pas cher payé. J'aimais le monde, mais j'aimais aussi ma tranquillité, avoir des moments de solitude au milieu du foisonnement. J'étais finalement une solitaire qui avait besoin d'être entourée sans être dérangée. Pourtant, Michel est venue me perturber dans mes cours, dans mon bar. Au milieu de mes feuilles étalées sur la table ronde du bistrot. Il n'y avait plus de place sur les autres tables, en face de moi, une chaise était libre. Il m'a demandé si ça ne me dérangeait pas. Je lui ai répondu que si, mais il a quand même pris la place vacante. Il m'a regardée en silence, et ce silence m'a déstabilisée. Je commençais à connaître les hommes, lorsqu'ils s'installaient en face d'une fille, ce n'était pas innocemment. Je n'étais pas moche, à en voir les nombreuses demandes auxquelles j'avais droit. Je n'étais pas non plus ce genre de fille dont les hommes se retourne dès qu'elle passe, mais j'avais mon charme. Néanmoins, je faisais peur, je le sais. Je ne m'en cache pas, déjà, à l'époque, je souriais rarement, mais est-ce un mal ? Je ne voyais pas l'utilité de sourire sans cause, ni rire des âneries de mes congénères. Je n'étais pas bon public, à pouffer bêtement à la moindre circonstance. Je trouvais cela avilissant. Je ne comprends pas non plus pourquoi ce dénigrement envers les personnes peu souriantes, et pourquoi serait-ce plus mal que de sourire ?

Ce jour-là, Michel est parti sans ouvrir la bouche. Au bout d'une heure, il s'est levé sans bruit, prenant soin de ne pas faire grincer la chaise sur le sol, une attention qui m'a touchée, d'autant plus que du bruit, il y en avait autour de nous, avec tous ces consommateurs qui parlaient trop fort, bousculaient tables et chaises, les serveurs qui s'agitaient avec des allers retours incessants, les automobilistes et les coups de klaxon, les sirènes, les éclats de rire. Tout Paris braillait, alors ce n'était pas le minuscule grincement d'une chaise qui allait me déranger. Il est parti comme il est arrivé, en silence.

Les jours suivant, j'ai pensé à lui, j'ai regretté de n'avoir pas été plus avenante. Il était beau garçon, avec ses cheveux blonds un peu trop long, ses yeux bleus et sa peau bronzée. Je poursuivais mes habitudes au bar, espérant le voir débarquer, demander si la place d'en face était libre, s'il ne me dérangeait pas. Je m'imaginais alors lui répondre que oui, il pouvait s'asseoir, et que j'aimerais partager un café avec lui. Je me faisais toutes sortes de scénarios, le croiser dans la rue, à la faculté, devant la porte de l'immeuble, dans le métro. Chaque jour passé, je regrettais davantage ma bouche rigoureuse, pincée, l'absence de rides au coin des yeux, presque invisibles à cet âge, mais présentes tout de même. Mon port de tête très (trop) droit, ma sévérité, mon intransigeance. De nombreuses fois, j'ai refait notre première rencontre, espérant alors qu'elle aurait débouché sur un lendemain, mais au bout d'un mois, j'en avais fait mon deuil.



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