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mercredi 6 mai 2020

confinement: page 41

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La soixantaine bien tassée, Monsieur partait vers un Monde nouveau, Monsieur se croyait neuf, exempt de ses péchés de jeunesse, de son passif capitaliste. Le voilà qui se revendiquait progressiste, écologiste, bouddhiste.
Abrutiste, ça te va bien aussi, lui avais-je dit en claquant la porte derrière lui. Et ne compte pas sur moi pour la rouvrir lorsque tu viendras pleurer. Tu auras beau m'implorer, je ne céderai pas.
Je ne croyais pas à ce que je disais. Je savais évidemment qu'il ne ferait pas marche arrière, mais je ne voulais pas perdre la face. Pas avec lui. Nous avons finalement vécu plus de trente ans de mensonge, nos enfants sont nés dans ce mensonge, notre rencontre a été un mensonge, tout n'a été que mensonge avec lui.
Quand j'ai su qu'il ne reviendrait pas, j'ai pris toutes ses affaires, je les ai mises dans des sacs, et j'ai tout jeté dans la benne à ordure. Ses vêtements, ses souvenirs, ses babioles. Ses photos, ses cadeaux, ses lettres. Je ne voulais plus rien. Comme lui, moi aussi je repartais de zéro, en quelque sorte. Lorsque j'ai mis à la poubelle le dernier sac, j'ai eu une sensation étrange. Qu'avions-nous exactement vécu ensemble ? Avions-nous réellement partagé notre vie ?
Je m'étais extirpée d'une campagne morose dès la majorité, d'autant plus qu'en 1974, cette majorité avait été ramenée à 18 ans. J'en avais 19, j'avais passé mon bac l'année précédente, Nixon venait de faire décoller son dernier hélicoptère de l'ambassade des États-Unis à Saïgon, mettant fin au bourbier du Viet-Nam, abandonnant le pays au communisme, aux communistes, de toute façon, il n'y avait plus rien à en faire, plus rien à y faire, les morts, ils en comptaient à la pelle et plus assez de pelles pour creuser les trous et les y enterrer. Alors que les américains abandonnaient cette terre pleine d'atrocités, j'abandonnai la mienne pleine de misère, je m'enfuyais à Paris pour y terminer mes études. J'aimais les chiffres, j'étais méticuleuse et ordonnée, aussi je ne me voyais pas dans une autre filière que la comptabilité.
Avec la campagne, j'avais abandonné cette terre poussiéreuse, poisseuse, collante, tout dépendait des conditions météo, cette terre sale et ingrate qui m'avait accompagnée toutes mes jeunes années et que je ne supportais plus. Je n'en pouvais plus de ce marron infect qui se nichait dans les interstices des crampons de chaussures, qui se nichait dans les coutures, qui ternissait le vernis. J'avais l'âme citadine, je rêvais d'immeubles, de gratte-ciel, d'une tour Eiffel qui tutoyait les nuages, du métro parisien, des magasins des Champs Élysée. Je m'abreuvais des images d'une capitale exaltée, je voulais goûter aux joies mondaines, marcher sur les quais de Seine engorgés, remonter le Champ de Mars, gravir les Buttes Chaumont, m'arrêter devant le Moulin Rouge. Connaître l'ivresse d'une bière, et surtout de plusieurs, rencontrer un homme, et plus les minables cul terreux des bals populaires campagnards.
Quand j'ai préparé mon sac, papa et maman n'ont pas versé une larme. J'étais d'humeur heureuse – pour une fois qu'on te voit sourire, m'a dit maman, ça fait plaisir, même si c'est pour te voir partir – je savais que je partais pour ne jamais revenir. Je n'ai jamais été très attachée à ce que mes parents faisaient, je ne comprenais pas qu'ils puissent habiter si loin de la civilisation, le milieu rural n'était pas fait pour moi. Je leur répétais sans cesse qu'il fallait évoluer, qu'ils étaient égoïstes de m'imposer de tout ça, moi qui ne rêvais que de civilisation. L'exode rural, c'était au dix-neuvième siècle, preuve à l'appui avec mes cours d'histoire. Industrialisation, urbanisation, j'avais beau leur réciter mes cours sur la révolution industrielle, puis sur tous ces avantages à vivre en ville, rien n'y faisait, j'étais heurté à un mur, aucun des deux ne prenait mon partie. Alors j'ai patienté, et lorsque l'opportunité s'est présentée, je l'ai saisie, plutôt deux fois qu'une. Je quittais définitivement la demeure familiale, je me fichais éperdument de leur vie de bouseux, j'étais libre. Libre et heureuse. Papa disait parfois que j'étais une fille taciturne, je lui rétorquais que c'était à cause d'eux, à cause de ce qu'ils m'imposaient. Papa, maman, ils me contredisaient sans cesse, nous ne pouvions nous comprendre, nous entendre. Nous avions des caractères trop différents. Difficile de croire qu'ils étaient mes parents, tant j'étais à l'opposé d'eux. Je n'essayais plus de les comprendre, eux ne faisaient plus aucune tentative pour me raisonner, ni eux, ni moi n'adhérions à la manière de penser de l'autre. Alors je suis partie, pour le plus grand soulagement des deux partis. Je ne suis jamais revenue, si mes parents voulaient me voir, alors ils devraient faire l'effort de venir à moi. J'avais vécu passé dix-huit ans à supporter la campagne, à leur tour de supporter des moments en ville.




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