Elle
hoquetait, Bertrand lui tenait fort la main, lui disant que tout
allait bien, qu'ils allaient avoir un très joli bébé. Oui, elle en
était convaincue, elle savait que cette fois-ci, la grossesse irait
à son terme. Elle n'avait pas fait de sport pendant neuf mois, ce
n'était pas une privation, c'était une évidence. Son médecin lui
avait pourtant dit que le sport loisir n'avait aucun impact sur une
grossesse, ce n'était absolument pas néfaste. Bien au contraire, il
fallait s'aérer, c'était important. Éviter les sports
traumatisants, comme la course à pied ou le VTT. Mais qu'elle
pouvait aller faire des randonnées, de la marche, de la natation.
Elle avait hoché la tête, oui, mais non. Bertrand le lui avait
aussi conseillé, ça lui ferait du bien. Il ne l'avait proposé
qu'une seule fois, tant sa réponse avait été brutale. Aucun
médecin, aucun échographe, aucune personne ne pouvait comprendre ce
qui se passait dans son corps, ce bébé était le sien, c'est elle
qui le portait, elle savait mieux que quiconque ce qu'il fallait
faire ou ne pas faire. Faites-vous confiance avait-elle
entendu dans une émission sur France Inter. Alors oui, elle se
faisait confiance.
Elle avait travaillé cinq mois, ensuite, elle avait demandé à son
médecin un arrêt de travail. Elle lui avait dit qu'elle avait des
douleurs, alors par mesure de sécurité, il l'avait arrêtée. Elle
avait menti, un mal pour un bien, elle s'était documentée, il
valait mieux se ménager en fin de grossesse. Au moins, elle avait pu
profiter pleinement des derniers mois. Ils avaient fait la liste des
prénoms dès la première échographie. Jules pour un garçon.
Éventuellement Julie pour une fille, mais elle savait que ce serait
un garçon. Elle ne l'expliquait pas, elle savait, c'est tout. Elle
avait souri de manière entendue à Bertrand lors de la deuxième
échographie, lui pensait que ce serait une fille. En rentrant, ils
étaient allés acheter de la peinture bleue pour la chambre. Ce
n'était pas très original, mais elle ne voulait pas d'une autre
teinte. Un bleu ciel, léger, reposant.
A quatre mois de grossesse, le futur bébé s'appelait Jules. Son
Jules. Elle avait tellement hâte de le voir en vrai. Elle avait
envoyé un message à son entourage : une photo de
l'échographie, une photo de Jules.
Elle avait peaufiné la décoration de sa chambre durant les quatre
derniers mois. Elle avait eu du temps pour penser chaque détail, ne
rien laisser au hasard. A quel endroit précis mettre les
décorations, les cadres photos. Bertrand lui avait suggéré
d'acheter quelques articles sur un site d'occasion. Le lit, par
exemple, mais elle avait refusé. Jamais son enfant ne dormirait dans
une chambre avec des objets ayant appartenu à un autre enfant. Des
amies lui avait bien entendu proposé des tas de vêtements, elle
avait poliment refusé. Quelle idée ! Comment des parents
pouvaient-ils accepter de vêtir leur enfant avec des habits qui
avaient été portés par un autre ? C'était inconcevable, elle
se serait senti mauvaise mère. Dans son image de perfection
éducative, Jules devait avoir ses propres affaires, et lorsqu'elles
seraient trop petites, elle les jetterait, elle ne tenait pas non
plus à ce qu'un autre bébé puisse les porter. Rien que de
l'imaginer la rendait malade. C'était son Jules.
Bertrand n'avait pas compris le changement. Il avait pensé que cette
métamorphose soudaine était due aux hormones, il s'était dit qu'il
fallait faire preuve de patience. Être enceinte ne devait pas être
évident, outre les modifications hormonales, il y avait aussi le
corps qui se transformait. Beaucoup de femmes appréhendaient cette
évolution, une même personne qui abritait deux êtres, ce n'était
pas une mince (il rigola tout seul lorsqu'il pensa à cet adjectif)
affaire. Il s'était dit qu'après l'accouchement, leur couple
retrouverait sa stabilité, ses marques. Il avait encouragé sa
femme, l'avait soutenue dans chacune de ses décisions.
Il avait compris que ses remarques personnelles, sa façon de voir la
grossesse, son avis de mari et de futur père, ne la touchaient pas.
Elle l'écoutait sans l'entendre, son avis lui importait peu, ou pas.
Elle avait déjà tout organisé, elle planifiait sa grossesse et ne
laissait rien au hasard, elle anticipait l'accouchement sans laisser
la surprise s'immiscer dans sa nouvelle vie. Elle savait ce qu'elle
voulait, elle semblait sûre d'elle, sûre de chaque acte, c'est ce
qu'elle laissait paraître, pourtant, il se disait que ce n'était
qu'une façade, exprimant, au fond, beaucoup d'incertitudes. Plus la
grossesse avançait, plus il se sentait seul et inutile, il avait
tenté de faire des approches avec bienveillance, mais ses tentatives
étaient restées incomprises, éteintes au moment où elles
naissaient.
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