[...]
Ils
sont allés au restaurant deux soirs, quel plaisir de rentrer en
passant sous les arcades décorées, d'aller faire des marches
nocturnes au clair de lune pour digérer marcher. Cerise sur le
gâteau, l'enneigement a été excellent pendant tout leur séjour,
ce qui n'a pas été le cas les années auparavant.
Le
manque de neige a été criant ces cinq ou six dernières années, au
dire des commerçants, même si cette année a fait exception à la
nouvelle règle. Il y a un décalage de l'enneigement, rarement
présent en décembre. Depuis le début des années 2000, plusieurs
stations ont dû fermer définitivement leur domaine.
Yoann
n'ignore pas cette évolution, le réchauffement climatique est dans
tous les discours, et les stations d'hiver doivent réorienter leur
fonctionnement, leurs investissements pour devenir des villages
« quatre saison ». Dans beaucoup de domaines, les
remontées mécaniques fonctionnent désormais l'été pour les
marcheurs et les vététistes. Il faut s'adapter pour survivre.
Il
sait que pour contribuer à la sauvegarde de la planète, il faudrait
se priver de ce genre de vacances. Oui, ce n'est pas nouveau, il en a
conscience, mais quand il repense à ce bonheur vécu pendant sept
jours, quand il revoit le sourire de leurs filles, quand il réentend
leurs éclats de rire, il se dit que cette semaine était essentielle
à sa vie, même s'il sait ce plaisir égocentrique, en quelque
sorte. Même s'il était partagé par toute la famille. Il se demande
alors comment faire face aux privations sans oublier le plaisir de
vivre. Les compromis existent-ils ? Est-ce du « tout ou
rien ? ».
Il
croise un parent devant le portail.
–
Alors, ces fêtes, elles se sont bien passées ?
En ce
moment, il n'est question que de ça, au travail comme en dehors, à
force, le sujet finira par se tarir.
Savoir
s'ils ont pu partir, si les enfants ont été sages, si la reprise
n'est pas trop dure, s'ils sont passés au travers de la grippe
saisonnière. Il répond oui à toutes les premières questions, et
oui également pour la grippe.
–
Nous, fait l'autre, toute la famille y est passée. Je ne t'explique
pas la déception. Cloué au lit pour la nouvelle année, quarante de
fièvre, des courbatures partout. Mes parents devaient venir, ils ont
préféré annuler. A défaut de champagne, on a bu des tisanes et
des grogs.
Yoann
hoche la tête avec compassion, il veut couper court à la
discussion, mais l'autre est volubile, le besoin de parler pour
partager sa déception.
–
Il paraît que la grippe est moins virulente, cette année. A
d'autres. Moi, ça fait plus de dix ans que je n'avais pas été
malade comme ça. Et comme je te dis, toute la famille y est passée,
incroyable. Mais comme on l'a tous eue, on est reparti pour dix ans
d'immunité, rigole-t-il. Et sinon, le boulot, tu t'en sors avec tes
déplacements ?
–
Oui, ça va. Écoute, je suis vraiment en retard, fait-il en
regardant sa montre, les filles m'attendent. On s'organise un repas
un de ces soirs à la maison, on aura du temps pour discuter. Je
laisse ta femme caler ça avec Sabrina et on se tient au courant,
dit-il en s'éloignant.
Il se
remet à courir et sonne à l'interphone, se présente pour pouvoir
rentrer. Les filles lui sautent dans les bras.
–
Papa ! s'exclament-elles à l'unisson.
–
Bonjour les filles. Désolé pour le retard, il y avait beaucoup de
monde sur la route.
–
C'est pas grave, on a l'habitude.
Yoann
remercie le personnel et repart, les deux mains prises par les
petites.
–
Qui commence par me raconter sa journée ?
–
Moi, moi, moi ! s'exclame Jeanne.
–
Non, c'est pas juste, fait Louise. C'est toujours toi.
–
Louise, fait Yoann, tu peux laisser ta sœur commencer, montre moi un
peu qu'une grande fille comme toi sait être patiente.
–
Pfffff, c'est pas juste, c'est toujours les plus petits qui ont tous
les avantages.
–
Ah oui ? fait son père en la regardant vivement. Et tu peux me
dire qui a le droit d'éteindre plus tard sa lampe pour lire le soir,
qui peut inviter des copains et des copines pour son anniversaire,
qui peut aller voir un film au cinéma avec sa grande sœur ?...
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