[...]
Mais
le climat changeait, inutile d’écouter la télé et les rapports
des experts pour s’en rendre compte.
Malgré
son âge, Henriette avait toute sa tête, sa mémoire n’était pas
altérée par le passage des années, elle se rappelait de tout.
Lorsqu’elle était petite, elle ne comptait plus le nombre de fois
où il fallait aller aider ses parents à déneiger l’allée. Ni
les fois où elle allait avec les autres gamins du quartier faire des
parties de luge, construire des igloos, des bonshommes de neige. La
neige faisait son apparition dès novembre, les fêtes de Noël
étaient féeriques. Elle ne concevait pas un Noël sans neige, les flocons faisaient parie du décor, du moment, un ensemble qui rendait le tout
magique, impérissable. C’était avant. La neige s’était envolée
dans les montagnes. Plus haut. Cette année, elle n’avait pas
déneigé une seule fois l’allée. Tant mieux pour ses reins, mais
elle avait une pointe de tristesse, se disant que les enfants
d’aujourd’hui ne connaîtraient probablement plus ces plaisirs
d’enfant. Il était tombé quelques flocons en décembre, à peine
de quoi blanchir les champs, et tout était parti en un rien de
temps. La température ne baissait plus, le mercure oscillait autour
de zéro la nuit, il était devenu fainéant, un peu comme les gens,
qui ne voulaient plus d’un travail trop dur, qui avaient délaissé
les prés et les jardins, qui préféraient le travail de
l’ordinateur à celui des champs. On ne pouvait pas les en blâmer,
la vie avait changé et il y avait beaucoup d’avantages, on pouvait
se déplacer en avion, on pouvait continuer à échanger avec des
amis, même s’ils étaient partis s’installer au bout du monde.
L’ordinateur et le téléphone portable permettaient ce genre de
choses, c’était, il faut l’avouer, assez incroyable. Elle
n’avait pas encore franchi le pas, elle lisait tout ça dans les
journaux, elle le voyait sur le poste de télévision. Chez elle, il
n’y avait que le téléphone normal et la télé. Elle n’avait
pas l’utilité d’un portable, étant donné qu’elle ne quittait
presque jamais son domicile, et l’ordinateur, elle n’avait pas le
courage de s’y intéresser. Et pour en faire quoi ?
Elle
se sentait de plus en plus seule ici, son chat ne suffisait plus à
pallier le vide des pièces, des murs hauts et froids. Comme s’il
l’entendit, le matou descendit du haut de son placard pour partager
la chaleur du poêle avec Henriette. Elle passa sa main sur son
pelage, l’animal ronronna de plaisir.
La
sonnerie la tira de sa torpeur. Elle s’était endormie. Le chat
avait ouvert lui aussi un œil, attendant la réaction de sa
maîtresse.
–
Allez, file, lui dit-elle en se redressant. Elle s’appuya sur les
accoudoirs, le fauteuil à bascule s’inclina vers l’avant et elle
put se lever sans trop de difficulté.
Elle
ouvrit la porte sans se méfier, il n’y avait que deux personnes qui
venaient sonner à sa porte en ce moment : le facteur et le
petit voisin. Et vu l’heure, ce ne pouvait pas être le facteur.
Elle ouvrit la porte à une tarte aux pommes.
–
Je viens de la faire, j’ai des pommes qui s’abîment, et elles
sont bien meilleures en tarte qu’à croquer. Je me suis dit qu’il
aurait été dommage de ne pas vous en faire profiter.
Elle
lui sourit, se décala pour les laisser rentrer, sa tarte et lui.
–
Tu n’as pas autre chose de mieux à faire, le blâma-t-elle
gentiment.
–
Si, vous apporter une tarte. Mais merci quand même pour ce bel
accueil.
–
Je dis ça pour ton bien. Moi, à ton âge, j’allais au bal pour
trouver un gendre et j’avais mieux à faire que d’aller rendre
visite à une vieille dame.
–
Vous savez bien qu’à cette époque de l’année, les bals font
une pause, ils reprennent au printemps. La saison des amours, comme les oiseaux. Qui aurait l’idée d’aller à un bal en plein hiver ? Les cœurs sont trop durs pour être attendris, à cette époque de
l’année. Il fait trop froid...
Elle
faillit le couper dans son élan, mais il la devança.
–
…oui, je sais, vous allez me dire que quand vous étiez jeune, il
faisait plus froid, il y avait plus de neige, les jeunes
travaillaient plus et bla bla bla, mais il fait quand même trop
froid pour espérer séduire quelqu’un. L’hiver, les gens sont
emmitouflés, ils préfèrent un livre devant un bon feu de cheminée,
ils sont fatigués, c’est physiologique, je ne vous apprends rien, c’est
même vous qui me l’avez dit. C’est pour cette raison que
beaucoup d’animaux hibernent, ils mettent leur corps au ralenti,
ils dorment, nous c’est un peu pareil. Bon, on se la mange, cette
tarte ? Elle sort du four, elle est encore chaude.
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