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mercredi 29 avril 2020

confinement: page 35


[...]
C'est ici que je venais étouffer mon chagrin après les journées d'école. Jusqu'en classes élémentaires, j'aimais les cours, j'avais un instituteur exceptionnel, qui savait canaliser la fougue de ses élèves, un homme droit, sûr de lui, qui faisait régner l'ordre tout en étant d'une gentillesse remarquable. Cet homme était fait pour ce métier, il aimait les enfants comme nous l'aimions en retour. Ses méthodes de travail étaient singulières, il se fichait éperdument du programme, des inspecteurs et de leurs rapports. Il préparait ses cours selon sa vision de l'éducation, qui n'était pas celle de l'éducation nationale, de plus en plus répressive. Il arrivait le matin avec sa guitare, et chaque jour, nous avions droit à l'apprentissage de la musique. Il nous enseignait autant les notes que le français ou les mathématiques, le sport également. Au fil des ans, il avait récupéré une panoplie de rollers et nous faisions des courses dans la cours, il nous installait un parcours entre les plots et nous roulions sans nous soucier des chutes. Les moins adroits avaient des genouillères et des protège poignets, au cas-où. Il avait également récupéré des raquettes inutilisées auprès des clubs de tennis locaux, et nous apprenions à taper dans la balle, à jongler. Sa manière de faire était risquée. Sortir, jouer, aller à la rivière, faire des randonnées, de la couture, les cours de cuisine, de bricolage... tout cela était courant dans les campagnes lorsque nos grands-parents étaient enfants, mais aujourd'hui, c'est presque impensable. Un jour, j'ai fait une mauvaise chute en roller. Je n'étais pas la plus habile, mais je tenais absolument à gagner mes challenges. Et lorsqu'il y avait un chronomètre dans l'histoire, je ne me souciais guère de me retrouver par terre. C'était en automne, le sol était un peu humide, j'ai fait un magnifique vol plané sur le goudron. Je me suis écorché les genoux, et foulé un poignet. Il y en a eu, des gamelles, mais heureusement, les parents ne se sont jamais plaints. Peut-être parce que ces gamelles arrivaient au plus débrouillards, et que les plus débrouillards étaient ceux dont les parents les poussaient à se dépasser. A être dehors. Des gamins qui avaient l'habitude de grimper aux arbres, de courir dans les champs. Et donc de tomber, de se faire mal. Quand j'y repense, je trouve incroyable qu'il n'y ait jamais eu de plaintes des parents, aucune mise à pied.
Il devait avoir une bonne étoile. Deux fois par an, les enfants de sa classe chantaient les musiques apprises en classe. La première représentation avait lieu juste avant les fêtes de Noël, la deuxième, pour la fête de fin d'année. Nous en connaissions tout un répertoire, et nous chantions crânement, face à notre maître improvisé chef d'orchestre. Je me souviens du sourire fier de mes parents, de mon ravissement de les voir dans l'assemblée, en face de moi.
L'arrivée au collège a été un calvaire. J'étais noyée dans un établissement de cinq cents collégiens. J'y découvrais l'indifférence, la méchanceté, la bêtise, l'intolérance, la jalousie. Les premières semaines, je levais régulièrement le doigt pour des questions, pour des explications, pour répondre à celles posées par le professeur. Lentement, j'ai été pointée du doigt par les autres, parce que j'étais différente, trop intelligente, trop curieuse, alors qu'il valait mieux être un caïd pour se faire aimer et respecter, avoir un bonnet d'âne pour se faire encenser par ses semblables.
Ce fut une période éprouvante, pas si lointaine, qui m'a laissé quelques traces, qui m'a ouvert les yeux sur les gens, qui n'étaient pas tous bons. Et avec les hormones qui abrutissent, c'est encore pire.
J'ai mal vécu ma différence, rasant les murs pour m'éloigner le plus possible des rires condescendants, des moqueries aigres. J'attendais avec impatience la dernière sonnerie de la journée, annonçant la fin des cours. Les journées étaient longues, les cours ne m'intéressaient pas, car j'avais toujours un temps d'avance, malgré le fait d'avoir sauté une classe lors de mes années primaires. J'aurais pu avoir une autre année de provision, voire même une autre encore, mais je ne l'avais pas souhaité, elle n'aurait fait qu'accentuer mon mal être, deux années de d'écart, pire encore, trois, à cet âge-là, c'est démesuré.
Tout n'était pas noir. Mais j'étais trop enfoncée dans ma détresse pour voir ce qu'il y avait de bon dans ces années, tous les enfants n'étaient pas méchants, loin de là. Je ne me sentais pas à ma place, j'avais le mal de moi, de mon image dans la glace, de mes membres encombrants, de mon corps détesté.
Je comprends que j'étais en grande partie responsable de ce mal être, parce que je ne m'aimais pas, à cause de ma différence, je me mettais moi-même à l'écart et ne faisais pas d'effort pour m'intégrer.



mardi 28 avril 2020

Confinement: page 34

[...]

Avec la petite, Henriette faisait sa cure de jouvence. Elle ne se sentait plus vieille, ni ridée. Elle n’avait plus mal aux articulations, juste aux zygomatiques.
Cinq jours trop courts, parce que le soleil apparaissait trop tard et disparaissait trop tôt, parce qu'il n'y avait toujours que vingt-quatre heures dans une journée. Parce qu'il y avait tellement de choses à faire, aller faire du toboggan comme des gosses, Henriette adorait ça, surtout lorsqu'il y avait des gamins autour qui la regardaient avec un sourire éclatant, parce qu'une mamie comme ça, c'était génial, et qu'ils auraient bien aimé que la leur fasse pareil. Le toboggan, l'othéo ne le lui avait pas interdit. Elle ne l'avait pas non plus évoqué. Ce n'était pas descendre la pente sur les fesses qui risquait de lui faire mal, juste porter des choses lourdes. Dans le parc, elle avait fait de la balançoire, et puis du « tape cul », aussi.
Oui, elles en avaient fait, des choses.
Des parties de pétanque, siroter une grenadine, ou s'asseoir sur la nacelle, le parasol grand ouvert pour se protéger de la pluie, habillée comme des bonshommes Michelin parce qu'il faisait tout de même un peu froid. Et puis des instants à ne rien se dire, mais tout ressentir,
Ça ne durerait pas, ce serait peut-être sa dernière descente de toboggan, l'avant dernière, elle s'en fichait pas mal, elle était dans l'instant, elle en profitait, elle rigolait comme une folle qu'elle était un peu, encouragée par la petite qui riait aussi aux éclats, c'était bon de vivre.

Le jour arriva où il fallut reprendre le bus. Cinq jours, ce n’était pas assez. Il y en aurait dix que le constat aurait été le même.
– Tu feras attention, Mamie ? lui fit la petite sur le quai
– A quoi ?
– Tu le sais bien, arrête de faire la naïve.
– Tu sais, avec ma vie d’ermite, je ne risque pas grand-chose.
– Tu vas acheter ton pain. Tu vois du monde. Ce n’est pas sans risque.
Elles en avaient déjà parlé. Le virus touche surtout les personnes âgées. Il faut prendre des précautions. Regarde, tu ne te laves jamais les mains.
– Il faut être en contact avec les microbes pour travailler son immunité. Les milieux aseptisés, ce n’est pas bon pour l’organisme. Tu sais très bien qu’il y a plus de maladies ORL, d’asthme, d’allergies et de toutes ces autres saletés depuis qu’on passe tout à la javel.
– Mamie, ne fais pas ta bourrique. Il y a un entre deux. Toi, tu fais tout à l’extrême.
– C’est bon, c’est bon, je ferai attention. Mais tu reviens me voir aux prochaines vacances !
– Oui, mais il faudra que je révise un peu.
– Je serai là pour superviser.
Elle prit la vieille dame dans ses bras.
– Merci, mamie.
– Merci à toi, ma petite fille. Prends soin de toi.
Une larme roula sur sa joue lorsque le train ne fut plus à vue. Ça allait être long, d’ici les prochaines vacances.

*

Ma chambre est mon univers. C'est un lieu rassurant pour tous les enfants, c'est là que nous formons notre imaginaire, que nos premiers rêves naissent, que nous les développons. J'y passe beaucoup de temps, au détriment de la vie à l'extérieur.



lundi 27 avril 2020

Confinement: page 33

[...]

Le bus s’éloigna, elle était sur le quai de la gare routière, il lui restait plus de deux heures à tuer. L’autre inconvénient à habiter en montagne, c'était le manque d’horaires des lignes de bus. D’une, il ne fallait pas le rater, de deux, il fallait patienter une fois sur place. Ça ne lui déplaisait pas, elle allait dans ce cas à la médiathèque. La ville disposait d’un établissement fantastique, elle irait flâner dans les rayons, referait son stock de livres pour la semaine. Henriette lisait énormément, surtout depuis la retraite. Il n'était pas rare qu’elle ouvre trois livres en même temps, ça ne la dérangeait pas que les histoires s'emmêlent, vu que dans sa tête, c’était encore très clair.
Ludo lui avait conseillé de prendre une liseuse. Il avait voulu la lui acheter, elle avait refusé catégoriquement. Il n'était pas encore né celui qui arriverait à la convaincre de lire sur ces tablettes électroniques sans vie. Non, un livre, il fallait le toucher, le palper. Il fallait l’avoir en main, le peser. L’ouvrir, le retourner, l’aérer. L’éplucher avant de l’acheter, le décortiquer minutieusement une fois chez soi. Le caresser, le humer, l’attendrir, davantage chaque fois qu’on l’ouvrait. Un livre, c'était un objet qui vivait, qui grandissait, qui avait besoin d’un lecteur, comme le lecteur avait besoin de lui. Ce machin électronique, il ne donnait rien. Probablement un peu de plaisir en y offrant quelques mots, mais pas davantage. Rien ne remplacerait jamais l’objet livre. La petite avait exactement le même avis qu’elle là-dessus, raison de plus pour ne pas changer son point de vue.
A dix-huit heures, elle était en gare, sur la voie une. Elle tendit l’oreille, essayant de percevoir les ronflements du train. Son cœur s’accéléra, elle était impatiente de la voir descendre d’un wagon. De la découvrir au milieu de la foule, la voir courir vers elle avec son sourire magnifique, ses cheveux bruns se balançant dans l’air.
Le train arriva, s’arrêta. Elle avait essayé de deviner le wagon, c'était un jeu qu’elles faisaient toujours. Si Henriette arrivait à deviner d’où elle sortirait, la petite lui offrirait une glace. Le cas contraire, c'était Henriette qui la lui offrait. Dans les deux cas, elles étaient gagnantes, elles auraient droit à la glace.
Les roues de fer crissèrent, le train se figea. Les portes s’ouvrirent, les passagers descendirent sur le quai. Elle descendit du wagon de derrière.
Fidèle à son habitude, elle n’avait pas de lourds bagages, juste un sac à dos rempli de l’essentiel.
– Je te soupçonne de me voir et de changer de wagon au moment de descendre, grommela Henriette.
– Moi aussi, je suis heureuse de te voir, lui fit la jeune fille. Et oui, j’ai fait bon voyage, non, je ne suis pas trop fatiguée par ces nombreux kilomètres qu’il m’a fallu parcourir pour te rejoindre. Et puis de toute façon, même lorsque tu gagnes, tu ne veux pas que je t’offre la glace.
– Ce n’est pas faux, mais au moins, j’ai la satisfaction d’avoir gagné.
Henriette la serra fort dans ses bras.
– Tu as encore grandi, toi ! s’exclama-t-elle.
– Mamie, je t’ai déjà dit que je ne grandissais plus depuis un an. J’ai déjà ma taille adulte.
– Alors c’est moi qui rapetisse. Qu’est-ce que je suis heureuse de te voir.
– Ah, me voilà rassurée. A un moment, j’en ai douté. Bon, tu me l’offres, cette glace ?!
– Tu ne perds pas le Nord, toi…

Lorsqu'elles revinrent à la maison et que la petite vit sa mamie descendre la poignée sans insérer de clé dans la serrure, elle soupira.
– Tu as une bonne étoile, toi, tu sais ? Tu n'imagines pas le nombre de cambriolages qu'il peut y avoir en ville.
– J'habite en campagne, lui répondit la vieille dame.
– Il y en a également en campagne. Et tu n'es pas réellement en campagne. L'endroit où tu habites, ça s'appelle désormais un village.
– Ah bon ? fit-elle innocemment. Pourtant, quand je me suis installée ici, il n'y avait que des prés tout autour. Ah, l'évolution...
– Ah, l'obstination, rajouta l'autre.
– Figure-toi que j'y ai quand même pensé.
– Ça, je n'en doute pas. J'imagine que c'était quand tu étais dans le bus ?
– Presque. En y descendant.
– Tu es un cauchemar, Mamie.
– Je sais, Maurice ne cessait de me le répéter. Qu'il n'avait jamais rencontré une mule pareille.
– Je ne lui donnerai pas tort.
– En y repensant, je suppose qu'il y a un gêne d'équidé, dans la famille.
– Pourquoi dis-tu ça ?
– Parce que ma fille est un âne.
Elles pouffèrent.



dimanche 26 avril 2020

confinement: page 32

[...]

Pour le reste de la semaine, Henriette n’avait rien prévu, rien organisé. Elle laisserait comme toujours la place à la spontanéité, au hasard, aux envies du moment. Il n’y avait que les rencontres qui se planifiaient, savoir à quelle heure et quel endroit, pour le reste, elle laissait la providence faire son travail. Elle savait que la petite aimait ça, c'était un jeu auquel elle se prêtait volontiers. Jamais elle ne s’était plainte du manque de rigueur de sa mamie, de ce côté marginal, un peu fouillis. La dernière fois, lorsqu’elles s'étaient appelées, elle lui avait dit que c’était elle, qu’elle ne devait rien changer, surtout pas cette authenticité.
Le bus traversa la campagne, bien que de campagne, il ne restât plus grand-chose de ces espaces verdoyants et déserts. Ç'avait été le cas à la fin du siècle dernier. Dans les années soixante-dix, quatre-vingt, les champs avaient commencé à bien se vendre, les agriculteurs avaient trouvé un filon, il valait mieux transformer leurs parcelles en habitable et y faire pousser des maisons plutôt que de continuer les exploitations au tracteur pour y faire pousser des céréales et des légumes, ou y mettre en pâtures les vaches.
Les villages s'étaient agrandis. Au début des années 2000, les lopins valaient de l’or, le département était attrayant. Les montagnes – surtout le ski l’hiver – en avaient fait une terre prisée.
Henriette aimait bien sa vie d’avant, les routes peu fréquentées, le silence du soir. La petite lui dirait qu’à cette époque, il aurait été bien difficile de vivre sans voiture. Et elle aurait fichtrement raison.
Henriette regardait le paysage défiler, s’immobiliser lorsque le bus s’arrêtait. Elle était nostalgique, elle l’avait toujours été, ce genre de choses ne changeait pas en vieillissant. Elle n’aimait pas l’évolution, elle avait la certitude que les plus belles années étaient derrière, qu’il y avait eu un âge d’or, entre les années quatre-vingts et les années deux mille.
Pour elle, comme pour la vie alentour.
En quatre-vingts, elle avait quarante-cinq ans, Maurice et elle terminaient de retaper la ferme, leur fille unique avait quitté la maison, elle avait apprécié de se retrouver, seuls, elle et son mari. Ils avaient de nombreux projets. Simples.
Elle était heureuse, un bonheur sans concession.
Elle se dit que Maurice lui manquait. Ça ne durerait qu’un temps, bientôt, elle irait le rejoindre. Il resterait encore de délicieux jours à vivre, mais les plus beaux, oui, ils étaient derrière.
Il y eut plusieurs kilomètres sans habitation avant de voir naître les premières maisons ceinturant la grosse ville. Puis les grands immeubles. Le bus marqua de nombreux stops aux feux, aux passages piétons. Il y avait du monde sur les trottoirs. C'était l’heure de la sortie des classes, les enfants tenaient la main de leur parent, beaucoup n'avaient qu’un pull, pas de veste, il faisait chaud, et le soleil, fin février, commençait à être haut dans le ciel, il chauffait davantage qu’au mois de décembre. Il avait fait vingt degrés, aujourd’hui.
Vingt degrés, en février.
Ma vieille, si je t’entends encore penser une seule fois qu’on n’aurait jamais vu de telles températures quand tu étais petite, je...
Je quoi ? se répond-elle.
Je te noie. Je t’assomme. Je t’étripe.
C’est ça, essaie toujours !
Elle rigola toute seule.



samedi 25 avril 2020

Confinement: page 31

[...]

Et on y revient. Henriette ne pouvait pas s’empêcher d’y penser, c’était plus fort qu’elle. Tout la ramenait à cette situation alambiquée, à l’espèce humaine qui, au fil des jours, phagocytait toutes les autres espèces qui se trouvaient sur son passage. Dénaturant l’ensemble. Au sommet de la hiérarchie. Elle se dit qu’à l’ère des dinosaures, la planète avait mis un bon cataclysme là-dedans pour repartir de zéro, et que peut-être qu’elle allait préparer un autre tour. La Nature, de toute façon, savait reprendre ses droits quand il le fallait, ce n’était qu’une question de temps. Peut-être même qu’elle regardait ce qui était en train de se passer d’un œil distant, attendant le moment propice. Demain, dans un mois, dans un an… La vie, c’était une histoire de Yin et de Yang, un équilibre du bien dans le mal, du mal dans le bien, et si l’équilibre cédait, l’avenir flanchait.
Elle était relativement pessimiste en la nature humaine, un pas en avant, deux en arrière. D’un autre côté, elle ne cessait d’y croire, il y avait eu de grands personnages, Gandhi, l’Abbé Pierre, Mère Térésa, Martin Luther King, Nelson Mandela… Toutes les sept secondes, la déforestation arrachait l’équivalent d’un stade de foot à la forêt amazonienne, mais les écolos n’avaient jamais eu autant le vent en poupe…
Il fallait y croire, sinon, quelle raison de vivre ? Et puis, il y avait la petite. Qui grandissait. Qui bientôt, quitterait le cocon familial. Qui deviendrait une grande et belle personne, elle le pressentait. On vivait pour encourager les générations futures.
L’horloge sonna les onze heures. Seulement. Elle tournait en rond. Ça agaçait le matou, il descendit de son plafond pour tourner autour d’elle, ronronner en se frottant à ses mollets pour la calmer. C’est bon, Henriette, il y a encore toute la journée, sembla-t-il lui dire.
Elle raviva le feu dans le poêle et accepta de partager un moment avec lui sur la chaise. Les chats étaient ainsi, il fallait être aux petits soins pour eux et répondre à leurs urgences. Manger, être câliné, ne pas être dérangé, dormir.
– Elle est belle, hein, ta vie de chat, lui fit-elle en laissant courir sa main sur ses poils épais.
L’autre ronronnait de plaisir.

Dans l’après-midi, elle s’activa pour prendre le bus. Il passait au centre village. Henriette n’avait plus de voiture. Lorsqu’elle devait se rendre en ville, elle prenait les transports en commun. Au choix : le bus ou le train. Elle avait la chance d'habiter près d’une ligne ferroviaire, la chance également que son arrêt au village ne soit pas fermé, comme cela arrivait parce que la SCNF estimait qu'un arrêt n'était plus essentiel. Par contre, il ne faisait pas halte systématiquement. Deux le matin, un l'après-midi.
Elle préférait néanmoins le bus. Moins de risque de retard. Et puis, le train, avec toutes ces grèves…
Elle marchait très bien. Chaque jour, elle allait s’aérer pendant une heure, parcourant au moins trois à quatre kilomètres. Elle se forçait à y aller, quel que soit le temps. C’était bon pour sa santé, son moral, son tonus. Parfois, Ludo l’accompagnait. Et quand il y avait la petite, toutes deux prolongeaient ce plaisir, elles allaient jusqu’à la lisière du bois, prenaient parfois un pique-nique et mangeaient en observant les alentours, l’ébauche des nuages, les pastels du ciel, les fresques du macrocosme, les frasques du microcosme. Le plaisir de s’ennuyer sans s’ennuyer. De faire travailler l’imaginaire, de se raconter des histories à haute voix, puis de les prolonger dans sa tête.
Le chat la regarda partir sans broncher, il était retourné sur son placard, ne lui fit pas un scandale en la voyant disparaître, ne lui ferait pas la fête en la voyant réapparaître, descendrait quand il en aurait envie pour avaler quelques croquettes, n'irait pas chasser les souris parce que décidément, les rongeurs allaient trop vite, ce serait fatigant. Viendrait chercher des caresses quand la maison serait de nouveau investie, mais en attendant, c'était sieste, et ça, il savait sacrément bien la faire.
Elle ne ferma pas la porte à clé. C'était une mauvaise habitude qu'elle avait, la petite lui ferait la réflexion, lui dirait encore une fois que ce n'est pas intelligent. Les mauvaises habitudes, comme les bonnes, sont difficiles à perdre, elle mettrait ça sur le compte de sa vieillesse, et la petite lui dirait que c'est son entêtement.



vendredi 24 avril 2020

Pensée du jour (numéro 7)

Le bonheur est un souffle que les jaloux respirent difficilement, et leur convoitise est telle qu'ils ne supporteront pas de vous savoir heureux et feront tout pour entraver votre liberté d'exister.

Benoît Chauvet