Une fois l'annonce de la réduction de l'épreuve digérée, nous sommes allés prendre nos quartiers avec Isa. Le réveil était programmé à 3h45. Le seul souci, c'est que notre chambre d'hôtel était sous les combles, qu'il n'y avait pas de clim et qu'il faisait plus de 35 degrés à l'intérieur, sans possibilité de créer le moindre courant d'air. J'avais emprunté une clim transportable au cas-où, mais elle faisait un bruit d'avion, donc inutilisable dans la petite chambre. Ce fut une nuit blanche, j'aurais voulu écrire que j'ai rêvé de cailloux, mais il aurait pour cela fallu dormir. A défaut, j'ai donc pensé cailloux, et plutôt deux fois qu'une.
Je me suis levé avec les étoiles, le ciel était dégagé, pas l'ombre d'un nuage annoncé. Vizille était en ébullition, les coureurs venaient de partout, certains prolongeaient leur nuit sur un matelas dans le gymnase. Moi, je n'avais qu'une hâte, que le décompte du départ soit donné, dans une touffeur hallucinante. A quatre heures et demie, il faisait déjà plus de 25 degrés. Je savais que la course allait être difficile.
Vint le moment tant attendu: cinq, quatre, trois... La foule est partie en trombe, les deux kilomètres de plat ont été avalés en un rien de temps, à plus de seize à l'heure. Puis les premiers pourcentages sont arrivés. J'avais le sourire aux lèvres, juste heureux d'être là, dossard accroché au short.
Au premier ravitaillement d'Arselle, j'étais en tête. Isa avait galéré pour trouver la route, elle venait tout juste de déballer les affaires. L'aube se levait lentement sur les Belledonne, donnant comme toujours cette atmosphère irréelle des courses au petit matin. Deux minutes d'avance au Lac Achard, j'étais déjà trempé de la tête aux pieds, transpirant comme jamais.
col de la Botte, copyright le Dauphiné |
Deux cols et une descente plus tard, j'étais rejoint par un Espagnol. Je ne le savais pas encore, mais nous allions effectuer un chassé-croisé pendant plusieurs heures. Lacs Robert, lac Léama, lac Longet... Le panorama était à couper le souffle, je l'avais encore en mémoire de ma dernière tentative, trois ans auparavant. L'avantage d'un Ultra, c'est qu'on a le temps d'observer malgré l'enjeu de la course. Plus encore sur l'Echappée Belle, qui se court à faible allure, même si à ce moment, le caillou me laissait encore à peu près tranquille.
C'est au refuge de la Pra que les choses sérieuses ont commencé. Et que j'ai eu mon premier coup de fatigue, dans la montée de la croix de Belledonne. Je me suis dit alors: pense à Isa. A son combat de tous les jours, mille fois plus intense que le mien.
En arrivant vers le sommet, un bénévole m'a dit: va toucher la croix, ça porte bonheur. Je ne suis pas très grigri, mais j'ai fait le détour. Je n'étais pas à trente secondes près. Sur la descente, je reviens lentement sur le premier. Au refuge Collet, nous repartons ensemble.
Du caillou, encore du caillou, toujours du caillou. A tel point qu'à certains endroits, il n'y a plus de chemin. On navigue à vue, en zigzagant de gauche à droite, sautant de pierre en pierre, de rocher en rocher. Concentré sur les pieds comme jamais, pour ne pas se faire une cheville.
Physiquement, je piochais dans les montées. Mais pour une fois, les descentes m'étaient salutaires. Ce que je perdais dans les montées, je le reprenais à la descente. En tête, deuxième, en tête, deuxième... Au dernier ravitaillement du Habert d'Aiguebelle, Isa était là, heureusement d'ailleurs, j'ai pu lui piquer un bâton pour remplacer celui que je venais de casser entre deux cailloux.
Plus loin, j'ai entendu une voix derrière moi: "ça te dirait qu'on arrive ensemble?". Mon collègue Espagnol m'avait repris. Nous avions encore près de trois heures de route, près de vingt minutes d'avance sur notre plus proche poursuivant. Nous étions en course, mais moi, finalement, ça m'allait d'arriver à deux.
Col de la Vache, lacs de Sept Laux, tout s'est fait en mode entraînement. Le plus curieux, c'est qu'à partir du moment où nous avons décidé d'arriver ensemble, c'est comme si le corps avait relâché la tension. Les cailloux m'ont paru plus gros, les descentes plus laborieuses. C'est dingue comme le mental peut jouer des tours.
L'avantage, c'est que j'ai pu savourer. Cette première belle victoire sur un grand Trail, qui plus est l'échappée belle. Même avortée. C'était peut-être un fait exprès. Parce que je serai obligé d'y retourner. Pour terminer d'une traite -enfin- la grande traversée. Même si dix minutes après avoir passé la ligne, j'ai eu un très gros coup de chaud, le thermomètre affichant près de trente degrés.
podium avec l'Espagnol Tejada Ocejo copyright le Dauphiné |
Merci à l'organisation pour cette invitation.
Merci Isa pour ton aide malgré les circonstances, cette victoire est aussi la tienne.
Merci pour ton récit Benoit qui nous a fait vibrer. Tes amis de Õdevie 🌊😉
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