L'été
approchait doucement. Météo France annonçait des grosses chaleurs, alerte
canicule, niveau 6 sur une échelle de 5, et ça faisait réfléchir. La chaleur,
je l'aimais bien, mais surtout de loin. Au fond de moi, je n'espérais qu'une
chose, que les prévisions soient à des lieues de la réalité. Que le temps ne soit pas ce qui avait été prédit ne m'aurait pas surpris, vu que dans ce
genre d'annonces, Météo France se plantait toujours. Je le voyais bien
pendant l'hiver. On avait toujours l'inverse de ce qui avait été annoncé.
Mais
là, c'était un peu différent. Il y a les anciens qui s'en mêlaient. Ils me
parlaient de leur arthrose, du peu de couches des oignons, de la migration des
hirondelles et des sauterelles qui sautaient moins haut que d'habitude. Tout le
reste, moi, ça me passait un peu au-dessus, mais quand ils ont parlé des
sauterelles, forcément, j'ai pris peur. Les sauterelles, c'était le début de la
fin, je savais qu'ils avaient raison et qu'on allait crever de chaud.
Deux
semaines plus tard, j'étais avachi dans mon canapé, épuisé par la chaleur
environnante en me répétant en boucle : "Foutues prévisions !". Le
corps en nage, je faisais des allers-retours entre mon séjour et ma salle de
bain. Les douches, je les prenais glacées, mais j'avais à peine le temps de
traverser mon salon pour retrouver ma position favorite dans le canapé que,
déjà, j'étais trempé de sueur de la tête aux pieds.
Le
soir, abruti par une journée à ne rien faire, quelqu'un a frappé à la porte
d'entrée. Il y avait à peine cinq pas à faire pour aller ouvrir, mais c'était
déjà trop. J'étais en train de développer une fatigue chronique due au manque
d'activité, et j'étais encore plus fatigué à l'idée d'y penser. Au prix d'un
terrible effort, j'ai quand même réussi à me hisser jusqu'à la porte. Derrière,
il y avait mon voisin.
-Chaud,
hein !
Je
n'avais pas le courage de lui dire que si c'était pour me dire ce genre de
chose, il aurait pu s'abstenir. Pour ne pas dépenser trop d'énergie
inutilement, je me suis contenté d'hocher la tête.
-Et ça
va, toi ?
Hochement
de tête.
-Tu
tiens le coup ?
Hochement
de tête.
-Et tu
fais quoi de tes journées.
Je
ferme les yeux. Pour lui montrer que je dors.
-Ah...
Je te réveille, alors ?
J'hoche
à nouveau la tête. Il laisse un blanc, puis se lance:
-J'ai
un petit truc à te proposer.
Je
regarde derrière moi.
-Fais
pas l'idiot, c'est à toi que je parle, me fait-il.
Il me parle alors d’un kilomètre
vertical, un truc entre potes, super ambiance, casse croûte à l’arrivée, que ça
me fera du bien parce qu’on est en altitude, qu’un kilomètre, c’est pas
grand-chose, et tout et tout.
J’ai rigolé. Bien entendu, il
aurait fallu être fou pour accepter. Je n’ai pas tilté sur le mot
« kilomètre », encore moins sur celui « vertical ». Rien
que l’idée de marcher, ça m’épuisait. Et vu que l’idée m’épuisait, vous
imaginez bien, m’engager dans un truc comme ça, non, je n’étais pas dément à ce
point…
-Alors là, c’est pour les
dossards. Là, c’est pour aller t’échauffer. Là, c’est là où on grimpe et puis
là…
Je regarde mon voisin, la pente.
La pente, mon voisin. Je ne sais pas ce que je fais là. Il y a des fois, je ne
me comprends pas moi-même. Je jette un regard environnant, observe toute cette
panoplie de sportifs aux jambes rasées, aux mollets gros comme mes cuisses, et peste
une nouvelle fois mon voisin.
Le c… !
La pente, j’avais le vertige rien
qu’en la voyant.
-On va grimper dedans ?
-Bah, oui !
Au fond de moi, j’ai espéré qu’il
soit comme la présentatrice de la météo, qu’il se plante totalement sur le
sujet. Pas de bol, dix minutes plus tard, j’ai pu constater à quel point il
avait raison. Et à quel point j’aurais mieux fait de réfléchir à deux fois
avant de venir, et surtout, à bien noter dans un coin de ma tête vide qu’il
s’agissait d’un kilomètre… vertical !
En gros, pour les incultes, le
kilomètre vertical, c’est un truc de fou. Non content de faire des kilomètres à
plat, les organisateurs se sont lancés dans un nouveau type de course. Le
kilomètre, maintenant, on le fait en dénivelé positif. Pour que ce soit drôle,
il faut que la pente soit le plus raide possible.
Le dossard épinglé sur mon
t-shirt, je suis donc parti avec toute cette bande d’illuminés. Au départ, tout
allait bien. Tout le monde s’est mis à courir, je me suis pris au jeu et moi
aussi, je me suis mis à courir. Au bout de trente secondes, je faisais moins le
malin. J’avais les pattes en feu, je crevais de chaud, je transpirais à grosses
gouttes, j’étouffais. J’ai fait tout le reste de la course dans cet état. Tout
mon corps semblait hurler : Stop, arrête, c’est fini les conneries, mets
le clignotant et rentre tranquillement chez toi. Même mon cœur semblait ne pas
vouloir me suivre : s’il cognait de toutes ses forces contre ma poitrine,
j’imagine que c’est parce qu’il voulait se barrer lui aussi. Pour reprendre mon
souffle, j’ai commencé à baisser la tête, puis le corps. Après dix minutes,
j’étais plié en deux. Quelques instants plus tard, j’avais l’impression de
ramper par terre. Il y a des endroits dans la course où la pente était
tellement raide que j’ai dû m’accrocher aux herbes pour ne pas dévaler la pente
en sens inverse.
Je me suis battu. Principalement
contre moi-même, parce qu’il n’y avait plus grand monde autour de moi. Et au
bout d’un effort surhumain, je suis arrivé en haut. J’avais franchi la ligne
d’arrivée, j’avais dépassé mes limites, j’avais franchi des limites
insoupçonnées. J’étais sur le toit du monde (enfin, juste à 2300m d’altitude),
j’avais l’impression d’être le roi du monde. Tout était si beau, si clair, je
percevais l’essence de la vie, la moelle de…
-Faudrait quand même penser à
redescendre… m’a fait l’un des gars de l’organisation.
-Il est où, le bus ? j’ai
fait.
Il a rigolé. J’ai cru qu’il se
foutait de moi.
Il n’y avait pas de bus. Pas
d’hélicoptère non plus. Rien de rien. Il a fallu redescendre par mes propres
moyens, et à ce moment, je me suis vraiment dit que je n’avais pas de cervelle.
Je me suis dit : « plus jamais ».
Finalement, arrivé en bas, j’ai
croisé mon voisin. Il m’a félicité, m’a offert une bière en me disant que
c’était essentiel pour la récup, je lui ai offert la deuxième pour faire ma
tournée, ensuite il y a eu celle du proverbe « jamais deux sans
trois », puis celle qui suit le proverbe, qui n’existe pas mais qui tombe
bien à propos.
Pour la suite, j’étais saoul.
Deux semaines plus tard, je crois
que je n’avais pas dessoulé, vu que je suis revenu.
Je suis au milieu du peloton, les
gens rigolent, tout le monde attend le départ. Je regarde autour de moi, et je
comprends que le sport est quelque chose de terrible. Une fois que tu as mis les
pieds dans l’engrenage, tu ne peux plus faire marche arrière.
Mais qu’est-ce que c’est
bon !
(Corpyright Benoît Chauvet)
à quand le 2kil vertical ???
RépondreSupprimerEuh... L'année prochaine ?!
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