-Trrriiit ! (Onomatopée du bruit de sifflet).
-Glp (j'avale ma dernière bouchée de petit déj)
Pfff pfff pfff (là je cours)
En gros, j'étais partie pour ma nouvelle aventure. A quatre heures du matin, je me sentais frais comme un gardon (hors de l'eau depuis trop longtemps), les yeux grand ouverts par l'adrénaline (surtout pour essayer de voir dans le noir), prêt à savoir ce que le bonhomme avait dans le ventre.
Les deux premières heures n'ont pas été évidentes, non pas à cause de la nuit, mais plutôt à cause de ma mini frontale qui n'éclairait absolument rien. Bien sûr, je ne l'avais pas testée, je l'avais prise pour son poids et son faible encombrement, le sac étant déjà bien chargé, j'avais optimisé les grammes. J'avais juste prévu de faire les dernières heures de nuit avec, la garder la journée dans le sac (matériel obligatoire), puis la troquer contre une autre à la tombée de la nuit. Je n'avais rien laissé au hasard, sauf ma connerie (désolé pour les yeux sensibles, y'a pas d'autre mot).
Heureusement, la première partie de course était en profil montant, et j'ai pu arriver sans encombre, les chevilles intactes, au premier ravitaillement. Nous étions alors 4 en tête. Je prends le temps de me recharger en eau, avale deux cr'oc et go, je repars en quatrième position. Pendant le ravito, deux coureurs se sont fait la malle, j'ai beau me dire que la course est longue, j'ai déjà peur d'avoir loupé la bonne échappée.
Puis les bornes s'enchaînent, les ravitos aussi. Je retrouve Cédric sur nombre d'entre eux, je croise Luc, venu m'encourager à de nombreux points du parcours, débordant d'énergie, tout sourire, et je suis heureux d'être là, même si avec mes talents aérien de pachyderme, je galère dans chaque descente. Malgré tout, chemin faisant, j'arrive au Pleynet, presque à mi-course, en deuxième position. Je me dis que le plus dur est fait. Déjà 5500 mètres de dénivelé positif, presque 70 bornes, tout va bien, je gère, je gère.
Je prends alors mon premier coup de chaud, lors de la montée au chalet de Grande Valloire. La température est caniculaire, je rêve de neige, de froid, de glaciers, mais le soleil de plomb me ramène à la dure réalité. La montre indique douze heures d'effort, j'attends patiemment que ce coup de pompe passe rapidement, j'ai hâte de rejoindre le ravitaillement de Gleysin, où m'attendent Cédric et Benjamin.
Benjamin, c'est mon Pacer. Mon quoi?!
Mon Pacer. La première fois que j'ai entendu ce mot, j'ai fait comme si je connaissais, pour ne pas paraître stupide en face de mon interlocuteur. En douce, j'étais allé chercher la définition dans la bible du Traileur.
Pacer /ˈpeɪsə/ nom masculin: meneur de train.
Le pacer est la personne qui va accompagner le traileur durant une partie de la course, l'aider à surmonter les moments difficiles, le remotiver, le calmer lors des moments d'euphorie, le canaliser, lui donner la paix intérieure.
Benjamin sortait de convalescence, une cheville en vrac pendant plusieurs semaines. Il avait accepté de m'accompagner, m'avait proposé les 40 derniers kilomètres, j'avais insisté pour 70, par peur de me retrouver seul en début de nuit, et surtout dans le fameux col de Morétan.
Il n'y avait pas pire pour lui pour démarrer: nous étions au pied d'une ascension de 1400 mètres, en plein cagnard, au moment du goûter, et l'une des portions les plus techniques du parcours: pas de chemin, mais des blocs de rochers à gravier, un névé à descendre, puis rebelote, pierres, pierres et encore pierres. D'autant plus que j'avais près d'une heure d'avance sur notre timing prévisionnel, qu'il n'avait rien eu le temps d'avaler. Pour ma part, après une longue pause au ravitaillement, j'entamais un moment d'euphorie. Je me suis rapidement retrouvé seul, Benjamin galérant avec sa cheville incertaine et les trop nombreux cailloux, j'ai rattrapé mon 1/4 d'heure de retard sur mes deux plus proches concurrents, j'avais avalé le Morétan en un instant, j'étais au ravitaillement de Périoule, la nuit commençait gentiment à tomber et je me disais que la victoire était vraiment possible.
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