Et puis la nuit est arrivée. Rapidement. Une nuit sombre, avec un croissant de lune à peine visible. Une nuit sans étoile, emportant avec elle les derniers chants du jour. Je l'avais espéré depuis longtemps, car avec elle, le thermomètre chutait enfin. J'avais passé la journée à chercher des points d'eau pour boire, pour me tremper la tête, pour faire descendre la température de mon corps en surchauffe, perdant parfois de nombreuses minutes. J'espérais que l'obscurité me transforme en SuperBen, déployant ses ailes pour voler jusqu'à l'arrivée. Probablement m'étais trop gavé de bouquins de super-héros dans mon enfance. Je croyais en une nuit facile à gérer, il n'en fut rien. D'abord parce que les premières ampoules sillonnèrent mes voûtes plantaires, rendant les descentes pénibles. J'ai essayé de changer ma façon de courir, avec un appui talon, mais là aussi, les ampoules apparurent rapidement. Je croisai Luc juste avant la montée à Super Collet, qui entamait lui-aussi une nuit blanche à venir à ma rencontre sur différents points du parcours pour m'encourager. Physiquement, je me sentais bien, la deuxième place était à trois minutes devant, mais mes pieds me faisaient souffrir. Arrivé à SuperCollet, je retrouvai Cédric, toujours fidèle au poste, que je ne remercierai jamais assez pour tous ses efforts. Nous avons essayé de mettre des Compeed sur les pieds endoloris, mais avec l'humidité, difficile de les faire tenir. C'est à ce moment que j'ai vraiment bâclé mon premier ravitaillement. Voulant repartir avec l'un de mes concurrents pour éviter d'être seul sur le parcours, j'ai mangé à la va-vite et je suis reparti à la hâte. La montre affichait 100km, il m'en restait encore 50 à parcourir. Arrivé au Col de Claran, j'ai pris mon deuxième coup de moins bien de la journée. A l'entame de la descente. Les cuisses étaient dures comme du bois, je peinais à courir. J'avais l'estomac noué, mais je me suis forcé à avaler de la nourriture. Les sensations sont revenues au refuge des Férices, après un arrêt sirop de menthe, proposé par les bénévoles. Mais sans le savoir, j'avais dépassé une sorte de point de "non retour". Trop accaparé par l'idée du podium, voyant les frontales à peine plus loin, j'ai fait une montée (trop) rapide, oubliant toujours de manger. Il me manquait la lucidité pour me raisonner. Je suis arrivé à Val Pelouse au galop. Kilomètre 118, il m'en restait trente à courir, j'étais persuadé que j'arriverais sans problème au bout, j'étais encore 4ème et les écarts se resserraient en tête de course. Avec Cédric, on a essayé de soigner les ampoules. J'ai fait une pause toilettes. Un concurrent est alors arrivé, et comme au précédent ravitaillement, voulant repartir trop vite pour ne pas être seul, je n'ai pas pris le temps de manger.
Coureur dans le dur Crédit photo: Pascal Rudel |
5mn plus tard, je n'avais plus rien dans le moteur. J'ai vu les frontales s'éloigner, je suis monté comme j'ai pu, mais le pire était à venir. Impossible de courir dans les descentes, tant les quadriceps étaient tétanisés. La montée au Col de la Perche m'a paru interminable, le brouillard était en train de se lever, je n'avais aucune idée de l'endroit où j'allais, je n'espérais qu'une chose, en terminer avec cette galère. J'ai entendu un "pop", ce n'était pas le champagne qu'on sabrait pour fêter une arrivée victorieuse, seulement mon cerveau qui disjonctait. Je me suis arrêté à une minute du col, j'avais besoin de me reposer et je me suis dit que je serais mieux ici, à l'abri du vent plutôt qu'en haut. Il fallait que je ferme quelques instants les yeux, tremblant de froid et de fatigue, je me suis changé, j'ai enfilé une polaire et un coupe vent, j'ai essayé de sortir ma couverture de survie. Elle avait pris l'humidité lors de la SaintéLyon et je n'arrivais pas à la déplier. Elle s'est déchirée, je l'ai mise sur moi, mais j'étais frigorifié. Je suis resté là une trentaine de minutes, jusqu'à ce je me raisonne et me décide à repartir pour ne pas finir congelé. Matis (un fondeur bien sympa), passait à ce moment là et m'a aidé à faire les quelques mètres restant. Ma course se terminait ici, au col de la Perche, dans la tente de l'un des bénévoles, à moitié en hypothermie. Je savais que je n'allais pas repartir. J'en étais à 23 heures de course et 125km.
J'ai passé une heure à essayer de me réchauffer, attendre que la pluie passe (eh oui, il a même plu!), que le brouillard s'éloigne, que le vent disparaisse et que, surtout, le jour se lève. Un bénévole (merci beaucoup à lui) m'a accompagné jusqu'au parking au col du Champet. Je lui ai laissé mon dossard, il ne me restait plus que 20km, j'avais effectué 10850 mètres de dénivelé sur les 11400 totaux, une misère me direz-vous, mais je ne voulais pas finir pour finir, me blesser (j'ai mis deux mois à pouvoir recourir après la SaintéLyon), et surtout, ne plus prendre du plaisir. Car pour moi, même si on pousse parfois le corps à des extrêmes, le sport doit rester avant tout du plaisir.
Alors bien sûr, sur le moment, je me suis dit plus jamais. Comme une certaine course en fin d'automne. Mais je sais désormais qu'il ne faut jamais dire plus jamais. Et surtout, jamais dire jamais plus jamais. Mais aussi jamais, ô grand jamais, jamais dire jamais dire jamais plus jamais.
Enfin bref, y'a de grandes chances que j'y revienne!!!
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