Dans une société où tout devient uniformisé, où le cadre et la rigueur viennent faire entrave à la spontanéité, les doigts sont pointés dans une seule et même direction. Il faut un coupable. Une personne sur laquelle vider ses tourments, lorsque ce n'est pas sa haine.
J'ai une pensée. Pour les blessés, pour la famille du décédé, bien sûr. Mais une pensée aussi pour l'organisation de l'Ultra Trail du Haut Giffre. La vie est faite de bonheur, mais aussi de douleurs. Aujourd'hui, j'imagine le traumatisme vécu par toute l'équipe de ce trail. Tous les bénévoles qui étaient présents, car ils sont bénévoles, ne l'oublions pas. Ils sont là pour les autres, leur plaisir n'est que partage. Je sais tous ces mois de préparation pour satisfaire au mieux les coureurs, les nuits aux réunions tardives, le stress récurrent afin que tout soit en place le jour J. Qu'il n'y ait rien d'omis, que tout soit parfait. Pour les autres. Pour nous, coureurs.
On ne le dit jamais assez, la montagne est imprévisible, tout comme l'est la météo. Combien se sont tués en voulant gravir les sommets, ou ne serait-ce que lors d'une banale randonnée. Un pied qui glisse, une chute dans un ravin.
Viendra le jour ou nous porterons systématiquement plainte contre une commune d'avoir laissé un caillou branlant sur un chemin, pour ne pas avoir empêché une pierre de se détacher d'une paroi. Il fut un temps, pas si lointain, où la montagne se méritait. Oui, avant, on disait qu'il fallait être digne d'un sommet. Désormais, on ne compte plus les voies sécurisées, les accès goudronnés, il faut que la montagne soit accessible à tous, qu'importent les moyens.
Depuis des siècles, nous cherchons à savoir, prévoir, anticiper, programmer, deviner. Ne plus laisser place à l'incertitude. Il faut calculer la force du vent, la taille des nuages, l'inclinaison du soleil. J'ai connu une époque où il était possible de prendre le départ d'une course sans certificat médical ni licence, où les blessés repartaient en béquille sans jeter la faute sur un autre. Les participants prenaient un départ en connaissance de cause, nous savions tous que dans un milieu naturel, l'impondérable était un concurrent comme un autre.
Combien d'événement ont désormais baissé les bras, faute de dossiers trop lourds auprès des préfectures. Toujours plus de documents, d'autorisations. Même les écoles n'osent plus se lancer dans de simples sorties scolaires, la peur d'une plainte ou d'une menace pour une simple cheville tordue.
J'imagine combien de sites météorologiques l'organisation de l'Ultra Trail du Haut Giffre a passé en revue. Chaque jour, chaque heure précédant l'épreuve. Nous le savons tous, il y a parfois un Monde entre les prévisions et la réalité.
Ne jetons pas la pierre trop hâtivement. Au risque de me répéter, la Nature est imprévisible et jamais nous ne la contrôlerons. Restons humble et ne cédons pas à la facilité, gardons notre langue dans notre bouche et évitons les paroles inutiles et déplacées, les jugements à chaud. Sans quoi demain, il n'y aura plus d'épreuve, plus de festivité.
Ne resteront que les écrans, support de notre animosité. Et il sera trop tard pour regretter ce temps où nous avions encore un peu de liberté.
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