Réveil. Plier les tentes. Manger. Marcher. Manger. Marcher. Installer les tentes. Manger. Dormir.
À lire comme ça, c'est à deux doigts de ressembler à du métro-boulot-dodo. Pourtant, même si les journées se ressemblent dans la forme, le fond nous offre une toute autre version. S'arrêter au cours d'une montée, dans une descente, faire un tour sur soi-même pour savourer, encore et encore. À chaque pas, la vue change, les montagnes sont immenses, et nous si petit. Tous les instants sont propices à l'émerveillement, surtout ici, plus au sud que sur les contreforts du toit de l'Europe, envahi par français et étrangers, qui n'ont mis le tour du Mont-Blanc sur leur liste des choses à faire. Grand bien leur fasse, au moins, les autres coins des Alpes restent sauvages, intimistes. Nous croisons très peu de marcheurs, des journées à les compter sur les doigts de la main, alors qu'ils étaient des milliers sur le TMB,avec Ânes, sherpas et ravitaillements motorisés sur les grands points de passage. Est-ce cela, la montagne ? J'ai toujours pensé qu'elle se méritait, ici elle reste sauvage et c'est ce qui la rend si belle.
-C'est beau, hein ?!
Ce doit être la centième fois que je le dis depuis qu'on est partis, voilà plus de dix jours. Onze. Douze. Je ne sais plus. Il faut refaire mentalement chaque étape pour retrouver le fil des jours.
La descente sur Ceillac se fait le ventre vide, on s'est promis un petit déjeuner en arrivant dans le village. Il faut attendre 9h30 pour être attablés avec viennoiseries et pain frais. S'ensuit une montée raide sur le lac Miroir, dont le nom semble désuet aujourd'hui et dont le enfants se plaignent qu'il ressemble à un marais. Je leur raconte qu'il y a 20 ans, son pourtour n'était pas jonché de ces herbes hautes qui le bordent désormais.
-La faute à quoi ? demandent-ils
Réchauffement climatique, sur fréquentation humaine, évolution naturelle... Il y a tant de choses qu'on ignore.
Au col Girardin, à plus de 2700m, nous prenons une petite grêle, puis la pluie sur la fin des 1000 mètres de descente. Isa a les articulations (vive l'hormonotherapie) qui grincent. Les nuits sont compliquées, celle à venir ne dérogera pas à la règle. Une accalmie nous permet de dresser notre camp. Il est à peine 17h. Juste le temps de se mettre dedans, la pluie reprend son travail de sappe et nous ne ressortirons pas jusqu'au lendemain. Un temps pour écrire, faire avancer nos récits, pendant que nous entendons les enfants réviser leurs tables de multiplication puis tourner les pages de leurs livres juste à côté.
Au réveil, la neige a encore blanchi les hauteurs. Comme toujours et comme par miracle, la pluie s'arrête lorsque nous nous actions. Il fait quelques degrés, bien trop d'une main pour les compter. Le petit déjeuner se prend contre la chapelle du hameau juste au-dessus. J'ai annoncé la couleur de la journée : un long plat de huit kilomètres avant de changer de vallée. À Fouillouse, petit hameau au-dessus de l'Ubaye, on fait une pause boisson-gâteau dans un gîte d'étape. L'employé est plein d'entrain, sourire vissé aux lèvres. Le courant passe, on parle de la vie dans les refuges, et la discussion se poursuit avec les enfants en marchant.
-C'est quoi, vraiment, être heureux ?
Je réfléchis. Savoir apprécier le bonheur chaque fois qu'il se présente. Sourire à la vie. Même quand on se reprend une averse en passant notre grand col du jour. De toute façon, il traîne toujours un rayon de soleil pas loin derrière, il suffit juste d'être (un peu) patient.
-Et le bonheur, alors?
En finir avec cette interminable descente qui sollicite tant les articulations (Isa), poser les sacs et jouer dans l'eau et construire des cabanes à insectes puisse prendre pour Harry Potter en s'imaginant voler d'un coup de baguette magique (les enfants), les regarder jouer et se satisfaire d'un caillou et d'un bout de bois (moi). Et pour nous tous, prendre une bonne douche chaude dans un arrêt camping à Larche, partager une pizza et quatre cornets de frites. Comme quoi, dans ces moments-là, le bonheur tient à peu de choses...
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Lac Sainte-Anne |
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Entre Ubaye et Mercantour |
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Entre Ubaye et Mercantour |
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Lac Sainte-Anne |
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Queyras |
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Lac miroir |
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Traversée de l'Ubaye |
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Descente le long de l'Ubaye |
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Ceillac |
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