Depuis quelques semaines, la
rumeur enflait. Au départ, les racontars sont sortis de la bouche des enfants.
Quelques paroles banales échangées dans les cours de récré. Les mômes en
rigolaient, rapprochant l’histoire à celle du petit chaperon rouge. « Loup
y’es-tu, m’entends-tu, que fais-tu ?... ». Le gamin avait surpris une
conversation. Il avait tendu l’oreille, mais savait que les mômes aimaient les
histoires, qu’on y parle de Boucle d’Or ou de l’Ogre. Parce que les mômes
aimaient qu’elles soient belles ou qu’elles fassent peur.
D’ordinaire, les racontars, le
gamin n’y prêtait guère attention. Et puis un jour, en allant chercher le
courrier, un feuillet malicieusement placé entre deux factures a attiré son
regard. C’est à ce moment-là qu’il a senti une boule se nicher dans son ventre.
Elle a grandi au fil des jours. Il en dormait mal la nuit, le sommeil agité par
de nombreux cauchemars. Le corps trempé de sueur, grelottant, le gamin restait
parfois de nombreuses heures éveillé à repasser en boucle ces nombreuses images
inquiétantes. Il a commencé à perdre l’appétit. Autour de lui, les gens le
trouvaient terne, effacé. A de nombreuses
reprises, on lui a demandé ce qui n’allait pas. Mais impossible de se confier,
sachant que toutes les personnes autour de lui, ses amis, sa famille prenaient
la rumeur avec légèreté. Il avait l’impression d’être seul au monde. C’est
comme si le monde entier se fichait éperdument d’un fait aussi sérieux. Depuis
une semaine, il n’est pas sorti de chez lui. Il a blindé sa porte, calfeutré
ses fenêtres, il s’est barricadé dans sa maison. Il a dévalisé un supermarché
pour constituer une bonne réserve de provisions. Il a piqué la carabine de son
grand-père.
Depuis ce matin, 24 décembre, il est
installé sur son fauteuil, tremblant, agrippé à sa carabine. En face de la
cheminée. Il paraît qu’il va arriver par là. Oui, la nuit du 24 décembre, il
paraît qu’un vagabond va rentrer dans les maisons. Pourtant, le conduit de
cheminée, il n’est pas très grand. On pourrait à peine y faire passer un ballon
de foot. Sauf que tout le monde raconte que l’intrus, même s’il est gros, a
plus d’un tour dans son sac.
Le gamin réajuste son plaid sur
les genoux, serre le canon de l’arme contre lui. Les jointures de ses doigts
blanchissent, ses jambes tremblent un peu. Le regard fixé sur les braises, la
bouche pincée, il se dit qu’il ne le laissera pas filer. Et que s’il croise son
chemin, le sale gars va passer un sale quart d’heure…
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